(Cette critique se consacre à À l'ombre de la canaille bleue mais plus particulièrement au coffret récemment sorti che Potemkine,qui comprend hut des treize films réalisés par Clémenti.)


Icône du cinéma contestataire et subversif des années 1960-70, héraut de la contre-culture, acteur mi-ange mi-démon ayant joué sous la direction des plus grands réalisateurs de son époque (Visconti, Pasolini, Bunuel, Garrel...), l'insaisissable Pierre Clémenti fut également un cinéaste expérimental, témoin de son temps, ne cherchant aucunement le succès commercial.


« J'aimais énormément Clémenti. Tout le monde aimait Clémenti. Tout le monde était fasciné par Clémenti. Tout le monde ne comprenait rien à Clémenti. » Ce sont par ces mots que Michel Piccoli tentait de définir l'un des acteurs français les plus mystérieux qui soient. Arrivé par hasard dans le milieu du cinéma et embauché sur Le Guépard de Visconti en 1962 pour l'un de ses premiers rôles, Pierre Clémenti fut durant les années 1960 un grand espoir du cinéma hexagonal enchaînant les rôles marquants dans Belle de jour, Benjamin ou les mémoires d'un puceau ou encore Les Idoles.

Parfaitement bilingue en italien, il tournera ensuite en Italie nombre d'œuvres cultes qui forgèrent sa légende d'acteur mystique. Christ hippie dans Les Cannibales de Cavani, pédophile et schizophrène chez Bertolucci (Le Conformiste et Partner), cannibale dans Porcherie de Pasolini ou encore ange noir manipulateur dans La Victime désignée, l'acteur à la beauté ombrageuse et incandescente multiplie les films expérimentaux et subversifs, tout en démarrant une « carrière » de cinéaste armé de sa caméra à main, une Beaulieu 16mm, qu'il balade sur les tournages, lors des réunions d'amis, sur les barricades de Mai 68... En nous proposant la quasi-intégralité des films (8 sur 13) de Pierre Clémenti décédé en 1999 à 59 ans, les éditions Potemkine nous permettent de découvrir une œuvre importante, à la fois autobiographique et chronique des temps passés, réalisée sur près de deux décennies. L'occasion d'en apprendre plus sur cet artiste énigmatique et d'apprécier son regard singulier sur notre société.



DES RÊVES...


Ses premières réalisations sont marquées par une certaine utopie et une liberté totale propre au mouvement contestataire de la jeunesse des « années 1968 ». Visa de censure n°X, son premier court-métrage sorti en 1967 (terminé en 1975) précède ainsi de quelques mois Mai 1968 tout en l'anticipant. Patchwork d'images diverses et variées (archives télé, films de famille, scènes jouées et improvisées, séquence de tournage...), superposées, insertion de slogans... Clémenti le réalisateur expérimente à tout-va, fait feu de tout bois et grâce à un montage bien plus cohérent qu'il n'y paraît et une superbe bande son magistralement insérée au récit livre un film onirique, fascinant et éprouvant, oscillant entre le rêve d'une vie simple et préhistorique où nudité et liberté sont les maître mots, et le cauchemar d'une civilisation autoritaire, en guerre où les drogues s'infiltrent peu à peu...

Dans La Révolution n'est qu'un début, continuons le combat tourné en partie sur les barricades parisiennes de Mai 68 et à Rome alors qu'il tournait Partner avec Tina Aumont et Bertolucci, on retrouve l'imbrication entre fragments de vie privée et considérations politiques. Tournés à partir de 1968, ces autres courts et moyens métrages consacrés à la famille et aux amis (Positano, Souvenirs souvenirs, La Deuxième femme) démontrent encore les espoirs de communautés « hippies » anticonformistes vivant l'« amour libre » et ont même valeur de documentaires sur ce sujet.



... ET DES CAUCHEMARS


Mais en juin 1971, celui qui appelait les policiers « la canaille bleue » et qui voulait voir les CRS « tout nus » se fait arrêter à Rome dans l'appartement d'une amie qui possédait des stupéfiants. Erreur judiciaire, coup monté ? L'État italien trouve en tout cas un bel exemple en la personne de Clémenti, étranger et proche des mouvements contestataires. Après 18 mois de détention, et malgré son blanchiment quelques années plus tard, cette expérience auprès des démunis qu'il raconte dans son livre Quelques messages personnels, marquera une césure nette dans sa carrière d'acteur où peu ou plus de grands rôles lui seront présentés. Ainsi que dans ses propres réalisations toujours aussi expérimentales et psychédéliques, mais de plus en plus sombres et paranoïaques.

Parmi ceux-ci, on retrouve New old (1979) où images des années 1960 et contemporaines se succèdent pour laisser apparaître un climat anxiogène, voir déjà carrément Punk grâce à une sublime musique rock progressif. Entre deux images d'archives du Viêt-Nam ou d'un diable piquant ses victimes à l'aide d'une seringue, on y trouve de nombreuses images tournées sur les plateaux de cinéma avec Klaus Kinski, Marco Ferreri, Michel Piccoli, Catherine Deneuve... La plupart des films de Clémenti sont d'ailleurs en ce sens de véritables documents, des sorte de making-of.


À L'OMBRE DE LA CANAILLE BLEUE


Enfin, cette superbe édition concoctée par Potemkine nous permet de découvrir son unique long-métrage A l'ombre de la canaille bleue, le joyau noir et lugubre de la filmographie de son auteur. Un polar Punk angoissant et déstabilisant proche de la dystopie des Cannibales de Lilia Cavani où on laissait les cadavres des opposants se décomposer dans les rues... Ici dans les rues de Necrocity, ce sont les pauvres, marginaux et drogués qui sont liquidés par la dictature du Général Korzacouille, joué par Clémenti, assisté du Docteur Speed, incarné par son ami de toujours Jean-Pierre Kalfon. Coécrit avec Achmi Gashem, qui joue le rôle du « bougnoule sexuel », le film prend les traits d'un Giallo crépusculaire, urbain et nocturne et à l'image des autres films de Clémenti nous présente une véritable radiographie du Paris d'alors. Soleil (1988), son dernier court-métrage, ferait presque office de testament. Sûrement son œuvre la plus intimiste, elle met en lumière sa mère et une nouvelle fois son aversion envers le système policier.


La présentation des ces huit films en version restaurée est donc un magnifique hommage nous permettant enfin de tenter de comprendre cet artiste hors-normes, musicien, peintre, écrivain, homme de radio sur France Culture, de théâtre et de danse avec Maurice Béjart... Un homme et un artiste insaisissable, libre, anticonformiste qui malheureusement et à l'image de bien d'autres figures d'alors sombrera dans la drogue, la psychiatrie et les méandres de la justice après les espoirs fous de la fin des années 1960.


(Retrouvez l'évaluation de la partie technique de l'édition Blu Ray-dvd de Potemkine par ici : http://www.regard-critique.fr/rdvd/critique.php?ID=6980)


SB17
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes DVD : l'Europe et le reste du monde. et Regard critique.

Créée

le 22 juin 2022

Critique lue 84 fois

SB17

Écrit par

Critique lue 84 fois

D'autres avis sur À l'ombre de la canaille bleue

À l'ombre de la canaille bleue
Araimifan
9

Critique de À l'ombre de la canaille bleue par Araimifan

Repost Letterboxd:C'est le Mad Max de George Miller français en vers libres. Je suis un peu déçu que tout le long du film il y ait la même musique mais sinon c'est une incroyable expérience! Je...

le 7 sept. 2023

À l'ombre de la canaille bleue
SB17
8

L'énigme Clémenti

(Cette critique se consacre à À l'ombre de la canaille bleue mais plus particulièrement au coffret récemment sorti che Potemkine,qui comprend hut des treize films réalisés par Clémenti.)Icône du...

Par

le 22 juin 2022

Du même critique

Milan Calibre 9
SB17
8

L'homme qui valait 300 000 dollars

(1972. FR.: Milan calibre 9. ITA.: Milano calibro 9. Vu en VOST, Blu-Ray Elephant Films) A peine sorti de prison, Ugo Piazza (Gastone Moschin) se retrouve dans l’œil du cyclone. Entre l’organisation...

Par

le 1 avr. 2021

24 j'aime

6

Colorado
SB17
8

La dernière chasse

(1966. FR : Colorado. ITA : La resa dei conti. ENG : The big gundown. (titre français assez débile puisque le film se déroule au Texas et au Mexique…) Vu en VOST, version Director's...

Par

le 2 janv. 2021

20 j'aime

9

Le Boss
SB17
8

La valse des pantins ou… Henry (Silva), portrait d’un serial-killer !

(1973. Il Boss. Vu en VOST, Blu-Ray Elephant Films) Palerme, années 1970’s. Suite à un massacre commis par Lanzetta (Henry Silva), sur ordre de Don D’aniello (Claudio Nicastro), contre la famille...

Par

le 9 avr. 2021

18 j'aime

3