A quelques jours de la commémoration du 104ème anniversaire de l’armistice de 1918, A l’Ouest rien de nouveau, diffusé sur Netflix, se présente comme une nouvelle et très belle adaptation du roman pacifiste d’Erich Maria Remarque publié en 1923. Aux commandes on trouve Edward Berger, cinéaste allemand qui, auparavant, avait réalisé, entre autres, plusieurs épisodes de la série The Terror, d’après Dan Simmons.
Les qualités et les défauts du film sautent aux yeux dès les premières minutes.
D’un côté, A l’Ouest rien de nouveau propose une véritable immersion au coeur des tranchées. La scène d’ouverture est très parlante : nous suivons un jeune soldat allemand terrifié par l’assaut à venir, face à des ennemis d’autant plus terrifiants qu’ils sont quasiment invisibles. Un soldat trop jeune, totalement inexpérimenté, que, visiblement, rien ne préparait à cette horreur de devoir tuer ou être tué, va devoir s’extraire de l’abri tout relatif de la tranchée pour se ruer vers une mort quasi-certaine. La scène est à la fois spectaculaire par sa mise en scène totalement immersive, et profondément humaine, insistant sur la pression et la terreur que subissent des millions de jeunes hommes.
Cette scène insiste aussi sur l’aspect déshumanisant de la guerre, caractéristique qui se retrouvera dans l’ensemble du film. Les soldat, des hommes avec leur famille, leurs amis, leurs désirs, leur envie de vivre, se retrouvent transformés en chair à canon, puis en cadavres auxquels on ne fait même plus attention tant ils parsèment chaque mètre carré de terrain boueux. Des corps entassés les uns sur les autres, balancés dans des fosses communes après avoir extrait tout ce qui pouvait être utile : l’uniforme, les bottes, tout ce qui pourra servir au suivant. La guerre devient une usine de mort où les régiments viennent se faire tuer à la chaîne. Cet aspect déshumanisant se retrouve dans l’ensemble du film, tout étant fait pour que les personnages perdent toute identité, toute personnalité.
L’enfermement est un des leitmotivs esthétiques du film. Les personnages sont tous prisonniers, n’ayant aucune solution pour s’en sortir. Même lorsqu’il ne s’agit pas d’une tranchée, les protagonistes se trouvent visuellement enfermés dans une forêt, une rue, un bâtiment. Ainsi, bien avant d’être sur le front, on peut voir Paul, l’un des protagonistes du film, parcourir les rues d’une petite ville du Nord de l’Allemagne, et cette rue est filmée exactement comme les tranchées, enserrée dans des murs qui bouchent tout horizon, coupent toute vue en enferme le personnage. Les moments où ils se trouvent dans un vaste espace, ils sont écrasés dans un plan large qui les réduit à l’état d’un vague point sur l’horizon. Quant au ciel, il est soit absent, soit bouché.
Du point de vue de ces jeunes hommes, la guerre apparaît comme une fatalité qui leur tombe dessus, une machine infernale qui ne leur laisse aucune liberté. Depuis le discours officiel qui va les galvaniser pour qu’ils s’engagent jusqu’à la marche vers les tranchées, les personnages ne sont libres d’aucun choix. Montrer le chaos, l’enfer du front en ouverture donne une vision plus sombre encore de l’engagement de ces jeunes Allemands, qui partent vers la guerre en blaguant, en chantant joyeusement et en étant convaincus qu’en deux semaines ils seront à Paris. C’est un sentiment de fatalité qui s’abat sur le film, encore renforcé par une musique certes un peu lourde mais efficace. La fatalité d’une jeunesse qui file en chantant vers sa mort quasi certaine.


Placer la grande majorité de l’action du film au mois de novembre 18, à quelques jours, voire quelques heures, de l’armistice, renforce le caractère absurde et inhumain du déchaînement de violence auquel on assiste. Ce sentiment d’absurdité est encore plus fort lorsque l’on voit que l’Etat-major allemand sait que tout est perdu et que la perpétuation de ces massacres est vaine.
Le film se construit alors sur un contraste entre le quotidien des soldats sur le front et la vie des diplomates qui négocient l’armistice dans le train, à Compiègne. Les scènes avec ces diplomates insistent trop lourdement sur cette opposition entre l’opulence et le bien-être des uns et le sort terrible que subissent les autres. Le constant aller-retour entre les deux situations, entre le chaos et la sérénité, est trop flagrant, trop insistant. C’est sans doute là le défaut majeur du film, défaut que l’on oublie facilement face à toutes les qualités de cette nouvelle adaptation d’A l’Ouest rien de nouveau.


Visuellement, A l’Ouest rien de nouveau nous offre un spectacle remarquable. On pourrait considérer que ce souci esthétique, cette volonté de faire des images parfois superbes, ne rend pas assez compte des conditions infectes de la vie dans les tranchées, des maladies, des parasites, etc. Mais, d’abord, Edward Berger ne prétend jamais au réalisme dans son film. Et ensuite, l’esthétique très travaillée a son rôle : transformer le front en un enfer rempli de visions apocalyptiques baignées dans la lumière irréelle et mouvante des fusées éclairantes ou des torches humaines.
Ainsi, Berger emploie beaucoup de clairs-obscurs sous-éclairés, comme si le monde ne parvenait pas à émerger des ténèbres (et la fin de la guerre n’est en rien une promesse de retour à la lumière, puisque l’on entend déjà des propos comme « la social-démocratie est la fin de l’humanité », propos tenus par un général allemand et qui préfigurent la suite des événements).
Cela est aussi renforcé par le jeu des regards, très important dans le film. Edward Berger filme souvent ses personnages de face, en gros plan, insistant sur leur regard, sur l’horreur qui s’y lit, rappelant inévitablement ce qu’avait fait Elem Klimov dans Requiem pour un massacre. C’est donc une caractéristique de toutes les guerres qui est montrée là : son horreur.


[article à retrouver sur LeMagDuCiné]

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le 8 nov. 2022

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SanFelice

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