Je précise comme je le ferai toujours, que malgré la forme affirmative de mes commentaires, ils sont soumis à une remise en cause. Quand je dirai "ce film ne tient pas la route" ou "le seul attrait du film est", je parlerai avec ma perception du film, je vous demande donc de prendre ça comme des éléments rhétoriques, et non des mots d'ordre.
Je ne répéterai rien de ce qui a déjà été dit, je crois. Voici mes commentaires.
Ce film me fait scotcher par les espèces de tableaux expressionistes tels que celui de la toute fin.
Mis à part ça, je voudrais expliquer pourquoi je pense que ce film ne tient pas la route:
- trop rapide, le début n'installe pas suffisament bien l'ambiance (vis à vis du livre), il dure donc 1h30 seulement, finit aussi vite qu'il a commencé puisque la tension n'était pas suffisante pour que la fin soit un pied de nez cinglant et plein de sens, ce qu'elle est dans le livre
- l'univers (les institutions, les machines, les proches du héros...) est très chargé et balancé en rafales sans ménagement: le pêcher mignon du réalisateur c'est qu'il est bavard, qu'il fait du cinéma indépendant avec la prétention du cinéma d'auteur, mais avec des films trop courts pour qu'on puisse regarder/écouter à la fois sous-titres/dialogues et images en une fois
Ici ça prend des proportions importantes puisque c'est une adaptation et je crois que ce film est malheureusement conçu surtout comme un hommage, par son auteur (ce qui ne l'empêche pas d'être autre chose).
- au niveau visuel, le style est constant, on est un peu(ou très) fasciné peut-être mais jamais vraiment jeté dehors comme dans son précédent, Waking Life (chaque scène est traitée différemment, de façon parfois baclée mais inventive), très bavard également, mais très intéressant aussi. L'homogénéité visuelle du film donne l'impression que le film est lisible simplement.
- les scènes du livre choisies ne sont pas forcément les meilleures: exemple: il fait de la scène du vélo plus qu'une anecdote, ce qu'elle est au départ, et en plus elle ne fonctionne pas bien (il y a une désynchronisation des deux hémisphères du cerveau qui cause cette erreur de comptage de vitesses, et dans le film ils passent simplement tous pour des abrutis ou des fous, sans entrer dans le registre de la compassion qui est le principal intérêt du livre de Philip K. Dick)
Pour résumer, le seul attrait que j'ai trouvé au film est son traitement visuel qui fait flotter la réalité tangible à un niveau d'expressivité presque surréaliste et permet de penser ce que c'est que la différence entre la réalité visuelle du monde et le réél que notre cerveau perçoit (il est capable de lire un film animé comme si c'était un livre, un livre comme un animé, nos rêves comme des films, les films comme l'envers, représenté en images, de nos désirs étouffés ou atones). Voici un exemple: le personnage se retourne et voit winona ryder à la place de la blonde junkie qu'il a étreinte à l'instant dans son lit; il va voir le module de surveillance, le "scanner", et il y voit la blonde se transformer en brune.
Evidemment, c'est impossible, mais dans la bible il est dit qu'on regarde "en un mirroir, obscurément" le réel qui n'est pas juste ce qui se montre dans le miroir mais ce qu'on vit entièrement, avec ses sens, dans son dynamisme (le réel est non fini, toujours en création). C'est donc obscurément qu'on voir dans un miroir: une obscure clarté, qui ne laisse deviner que des choses atones, froides, mortes, inertes mais pourtant en mouvement comme le réel mais juste par analogie visuelle. Naturellement, ce qui se passe dans A scanner darkly, c'est que le cerveau du héros part en sucette: il dés-intègre ce qu'il voit, avec ses yeux seulement, de la réalité qui en est à l'origine indirecte - la vue est le foyer des illusions parce que c'est le sens le plus tangible, que l'on croit le plus. Son cerveau n'est plus capable de reconnaitre une manifestation du réel, il est désynchronisé: il voit quelque chose et comprend/immagine autre chose. Car le réel (à ne pas confondre avec la réalité, elle est la peinture inerte du réel, qui lui est en mouvement, infini) c'est l'imaginaire, ce qu'on peut concevoir, ce que notre cerveau pense intégrer pour donner une réalité finie mais que le cerveau le héros, Bob Arctor, n'arrive plus à intégrer et finit donc pas dés-intégrer.
Là c'est donc la représentation visuelle dans le scanner et plus dans le miroir qui sert de support pour ses illusions. Le scanner, tout comme le miroir, n'est rien d'autre que l'endroit où l'on projette ses conceptions sur les choses, son imaginaire. On interprète ce qu'on peut, comme on en est capable. Bob Arctor n'est plus capable de rester en accord avec la réalité visuelle unique, la partie de son cerveau qui interprète, séparée de celle qui voit, peut n'en faire qu'à sa tête.