Alexis, Yanis, Wolfgang... et les autres

Laissant une impression d'ensemble finalement plutôt positive, le nouveau film de Costa Gavras pose pourtant certains problèmes dans la relation étrange et ambiguë qu'il instaure entre sa forme et son contenu. A tel point que l'on ne sait pas vraiment sur quel pied danser et que l'on se demande quel est, fondamentalement, le message que le réalisateur veut nous faire parvenir alors même qu'il pendule sans arrêt entre radicalité et complaisance. Est-ce qu'il faut descendre dans la rue armé(e)s de nos plus beaux slogans anti-européens ou est-ce qu'il faut regarder ce qui se passe en Grèce avec le même œil rieur que Christine Lagarde dans le film lorsqu'elle lâche la punchline éclairant son titre ? Ce qu'il faut entendre par là, c'est que le récit oscille sans arrêt entre critique radicale et acerbe et comédie satirique, manichéisme et relativisme moral. L'on pourrait rétorquer que le mélange des genres n'est pas un mal en soi, et certains films comme The Big Short ont suffisamment prouvé qu'il était possible de proposer une critique politique savamment pimentée tout en restant dans un registre comique.


Mais là où le bât blesse, c'est que le parti pris de Gavras, à savoir faire de son film une tragédie contemporaine en reprenant certains codes du genre attique, tend à sacrifier le cynisme pour un grotesque assez simplet qu'on peut mesurer sur une échelle allant de assez drôle jusqu'à carrément malaisant. La scène ultime du film est pour cela assez représentative du pôle supérieur de cette échelle. Le chœur tragique, que l'on avait vu apparaître sous la forme d'un peuple au mutisme protestataire, s'incarne cette fois dans la foule de représentants politiques européens et s'engage dans un ballet de danse non plus grotesque mais tout simplement ridicule. Le réalisateur voulait symboliquement évoquer les six heures de ballotage politique qu'a dû subir Tsipras avant de capituler : la motivation est noble. Mais le résultat malheureusement à côté de la plaque, car manquant terriblement de finesse et de subtilité.


Un reproche que l'on pourrait d'ailleurs généraliser à l'entièreté du film. L'on pourrait par exemple signaler le traitement peut-être idéaliste et complaisant du personnage de Varoufakis. Car Gavras ne relativise pas autant son personnage qu'il le fait avec ce cher Wolfgang, qui nous est présenté pendant une bonne heure et demi comme le dernier des #!@#% pour que l'on apprenne finalement qu'il n'est pas si mauvais que ça, simplement très bismarckien dans sa façon de faire de la politique. Effort de relativisation salutaire, mais qui aurait gagné à être étendu sur tous les personnages, celui du principal protagoniste compris.


Evidemment, ces critiques ne sont pas absolument disqualifiantes, et je le répète, l'impression générale laissée par le film, abstraction (certes difficile) faite de la dernière scène, reste positive. Le peuple est relativement peu présent, mais on peut le comprendre dès lors que le réalisateur fait le choix de nous montrer les rouages politiques d'une institution libérale qui n'a de démocratique que le blason plutôt que leurs conséquences sur les premiers concernés. Le fait que l'intégralité des débats parlementaires européens représentés soit issue d'enregistrements procurés à Gavras fait l'effet d'un coup de poing et procure au film une valeur presque documentaire. Mais il est dommage que nous ne recevions ce coup de poing qu'après le visionnage et par le biais de ce redoublement réaliste. Si j'avais dû noter ce film que pour son importance politique, il aurait probablement reçu la note maximale. Malheureusement, il ne s'agit pas d'un documentaire mais bien d'un film, ce qui implique de prendre en compte le traitement fictionnel du contenu proposé. Comme l'a dit Gavras, le cinéma le plus réaliste n'en est pas moins une fiction motivée par un parti-pris. Mais il est regrettable que, voulant trop combiner fiction et réalisme, le parti-pris porte préjudice aux deux à la fois.

IlianaEjm
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le 25 oct. 2019

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Iliana Ejm

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