Durant les années 70, dans un bidonville des faubourgs de Rome, une famille innombrable vit dans une bicoque fabriquée de bric et de broc. Ça pullule, ça vocifère, ça se baffre, c’est répugnant. Au moins 3 générations vivent sous le même toit, 20 personnes au bas mot, entassées les uns sur les autres, imbriquées les uns dans les autres au point que l’on ne sait pas qui est avec qui et qui est de qui. Avec un foutoir humain de cet acabit, le réalisateur Ettore Scola ne pouvait pas appeler son film autrement qu’Affreux, sales et méchants.


Prix de la mise en scène au Festival de Cannes, le film est un énorme coup de pied dans la fourmilière. Contrairement à l’immense majorité des films ayant trait à la misère, les pauvres sont montrés ici sous leur plus vil et leur plus répugnant visage. On est loin, très loin, du visage angélique d’Alain Delon dans Rocco et ses frères de Visconti ou de la compassion suscitée par Carlo Battisti dans Umberto D. de De Sica. Giacinto, le patriarche, protège son pécule qu’il cache avec habileté (c’est d’ailleurs la seule chose d’habile qu’il sache faire) de sa nombreuse famille qui rêverait de lui voler. Lorsque Giacinto s’éprend d’une jeune et grasse prostituée et la ramène à la maison, le reste de la famille trouve enfin le prétexte qu’ils attendaient et décident de laver cet affront. Et quand on est affreux, sales et méchants, l’affront se lave autour d’une table, dans une assiette de spaghetti contenant suffisamment de mort aux rats pour faire canner un éléphant.


Du casting, seul Nino Manfredi, qui incarne Giacinto était un professionnel. Les autres, acteurs amateurs ou habitants du bidonville, apportent une crédibilité et une spontanéité à cette comédie complétement déjantée. Côté mise en scène, j’ai eu un gros coup de cœur pour le travelling du début lorsque toute la famille se réveille et que Giacinto met le spectateur au parfum : ce pognon, un million de lires, c’est le sien et le premier qui tente de lui piquer, il se prend un coup de fusil dans le buffet.


Le génie d’Ettore Scola est d’avoir fait de ce film une comédie. On rit pendant deux heures, alors que l’on assiste à la décadence humaine : vol, violence, tromperie, inceste, tout y passe. Les hommes sont ici des porcs se vautrant dans la fange et ne respectant rien, pas même le lien du sang. L’innocence est mise à bas avec l’image de cette jeune fille qui se lève à l’aube avec ses bottes jaunes pour chercher de l’eau à la famille. La dernière scène, où cette même adolescente, enceinte, se lève péniblement pour aller chercher de l’eau enlève tout espoir de salut.


Les personnages, les situations et la vision de la pauvreté retranscrite dans ce film m’ont fortement fait penser à Céline. Décédé à l’époque, je suis sûr que l’écrivain français se serait fendu la poire devant ce film et se serait peut-être enfin dit que quelqu’un partageait son point de vue.


Ne cherchez pas de morale dans Affreux, sales et méchants, celle-ci risquerait d’être gênante.

Vincent-Ruozzi
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le 15 févr. 2016

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Vincent Ruozzi

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