Patriiiiiick !

Caroline Vignal a, je pense, prénommé ainsi son âne uniquement pour caser ce gag-là. En plein confinement, cette histoire de rando dans les grands espaces des Cévennes avait tout pour mettre du baume aux coeurs frustrés. D'où, sans doute, son succès. Je sentais pour ma part la comédie comme-j'en-ai-tant-déjà-vues, à base de situations cocasses et de personnages croquignolets. D'où, sans doute, ma réticence.

Il faut dire que Au hasard Balthazar figure haut dans mon panthéon personnel, et que le film de Vignal est un peu l'antithèse de celui de Bresson. A l'austérité et à l'étrangeté de ce dernier répond l'enrobage et la banalité de la comédie que j'aie vue hier soir.

Si on accepte de le prendre pour ce qu'il est, une bluette sympathique mais sans ambition, Antoinette dans les Cévennes est plutôt une réussite, surtout due à ses deux stars : la randonneuse et son âne. Laure Calamy, à l'instar d'une Virginie Efira, est une superbe actrice, à la palette variée, et c'est un plaisir de la voir évoluer entre frénésie, gêne, fureur, abattement, désespoir, joie enfantine. S'oppose à ce feu d'artifice d'émotions le faciès impassible de l'âne. Filmer un animal est souvent d'une grande puissance, a fortiori lorsque cet animal est un âne, dont l'obstination légendaire est porteuse de fascination. L'âne partage ceci avec le chat : il ne marche pas à la coercition, il faut trouver d'autres moyens.

Antoinette se frotte dans un premier temps au cliché : l'animal refuse d'avancer, qu'on le fouette, qu'on le houspille ou qu'on le supplie. Une métaphore de la vie d’Antoinette, bloquée dans une relation extra-conjugale sans lendemains. La formule magique que va trouver notre sémillante marcheuse, c'est de lui raconter sa vie : l'âne se mue donc en psy silencieux alors qu'elle décline ses états de service en matière de mâles. Et, comme sur le divan, notre héroïne va opérer un transfert, s'éprendre de son ongulé.

Son périple va la faire côtoyer la panoplie des personnages bien caractérisés que je craignais : la mégère moralisante lors du premier repas où Antoinette dévoile qu'elle est partie à la recherche de son amant marié, le dragueur lourdingue assez vite éconduit, l'aubergiste philosophe... Jusqu'à la rencontre avec celui qu'elle cherchait, le fameux Vladimir avec femme et enfant. Si le scénario tombe alors dans les scènes vaudevillesques attendues, osant même le coït à la belle étoile, il se rattrape le lendemain avec cette surprise : Eléonore avait tout découvert. L'épouse lui dévoile que le Vladimir est un chaud lapin de la pire espèce.

Voilà qui change tout pour Antoinette qui déclarait pourtant à son âne qu'elle n'était pas "jalouse" : pas jalouse de la légitime peut-être, mais s'il y a d'autres amantes, c'est différent ! D'ailleurs le baudet, tel l'inconscient d'Antoinette, avait désapprouvé le bonhomme en brayant à qui mieux mieux. L'âne s'emballe, traînant au sol la malheureuse dans une scène de course-poursuite lourdement soulignée par une musique guillerette à base de banjo. De quoi se faire une entorse.

Mais à quelque chose malheur est bon : constatant avec quelle facilité son Vladimir lâche l'affaire, Antoinette rompt définitivement le charme, d'un rageur et technologique "tiens, je te bloque !". Libérée de sa passion, elle peut dès lors trouver sa voie, et finir dans les bras d'un beau jeune homme, après être passée par la case motard. On n'est pas loin du feel good movie, bien plus que du western comme j'ai pu le lire.

Les pèlerins de St-Jacques le savent, c'est en prenant le risque de se perdre qu'on peut se trouver (même s'il est bien difficile de se perdre sur le très balisé et très fréquenté chemin de St-Jacques... et j'imagine qu'il en est de même sur celui de Stevenson). C'est donc ce que va faire Antoinette, les yeux rivés sur son portable : la scène est assez drôle, portée par l'excitation de Laure Calamy. Antoinette se perd dans les bois, l'occasion d'un poétique réveil qu'on croirait tiré de Bambi, avec faon, lapins et renard. Le film ménage ainsi quelques autres échappées oniriques sympathiques : la procession à dos d'âne accompagnant la star qu'est devenue Antoinette qui évoque le Christ entrant dans Jérusalem, ou la guérisseuse surgissant de nulle part façon Zorro pour guérir une entorse (quitte à tomber dans l'invraisemblable avec notre randonneuse qui court comme un lapin de lendemain). Ces incartades irréelles étaient d'ailleurs annoncées dès l'entrée en matière, avec cette instit' qui passe une robe sexy devant ses élèves, avant de leur faire entonner, à la fête de l'école, le Amoureuse de Véronique Sanson uniquement destiné à Vladimir, l'un des parents d'élève. Un chant de sirène destiné à envoûter, qui justifie cette robe moulante couleur écailles.

Sympathique donc. Mais, pour sortir du lot, il eût fallu s'attarder un peu plus sur la relation de l'exubérante Antoinette à son muet compagnon, autrement que dans des scènes convenues. Oser quelques longs plans fixes. Ne pas recourir, platement, à cette musique extra-diégétique qui fleure bon la folk (une règle de base pour tout road movie, fût-il pédestre : s'interdire toute scène au crépuscule où l'on voit le personnage évoluer sur de la musique). Ne pas céder au gag lourdingue, comme le coït avec le motard dont le paroxysme nous est annoncé par une manifestation sonore de Patrick dans la nuit. Se refuser quelques rebondissements usés jusqu'à la corde, comme l'amant déconfit face à sa maîtresse surgissant comme un chien dans un jeu de quilles dans la randonnée familiale.

C'est toujours le dilemme : pour s'affirmer comme un auteur, il faut renoncer à tout un tas de trucs éculés, précisément ceux qu'adore le grand public, sans lesquels, même, il ne marche pas, comme l'âne récalcitrant. "Auteur populaire" ? La ligne de crête est étroite. Un Hitchcock, un Chabrol ou un Truffaut parvenaient, dans leurs plus grandes réussites, à sillonner cette voie-là. Caroline Vignal n'est pas de cette trempe, son Antoinette est plus proche des Randonneurs (Laure Calamy a d'ailleurs les accents d'une Karine Viard) que du film de Bresson. Rien de honteux, rien de mémorable non plus.

6,5

Jduvi
6
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le 6 nov. 2022

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Jduvi

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