Francis Ford Coppola met en scène l'horreur en n'hésitant pas à choquer. A première vue, cela semble être un film dénonçant simplement la guerre du Vietnam, mais c'est bien plus que cela. Voici plusieurs idées qui ressortent selon moi :



  • l'idée que chaque homme est à la fois bon et mauvais, aime et déteste

  • l'idée que la violence peut se justifier à partir d'un certain point

  • l'horreur dans la nature humaine

  • la preuve sociale

  • la guerre du Vietnam est une guerre sans idéal

  • l'exploitation des hommes par les hommes


l'idée que chaque homme est à la fois bon et mauvais, aime et déteste :
cette idée ressort dans plusieurs dialogues (Denis Hopper en photographe par ex) ainsi que dans la voix off du personnage principal. Je base cette analyse sur l'aveu de Denis Hopper dans son interview à la cinémathèque française visible ici. C'est une des idées d'Hopper tirée de l'évangile selon Saint Thomas, déjà utilisé dans Easy Rider. Il s'en était aussi servi pour de l'improvisation dans le film Tracks de Henry Jaglom en 1976 sorti 3 ans avant Apocalypse Now. Je n'y vois donc pas une coïncidence, et il est même probable que D. Hopper ait influencé Coppola sur ce point. Je vous suggère de revoir le film avec cette idée en tête car elle est selon moi centrale.


l'idée que la violence peut se justifier à partir d'un certain point : c'est une question morale récurrente dans le cinéma américain puisque la violence y est fréquente. C'est surtout le cas dans le nouvel Hollywood (cf. JB Thoret). C'est aussi le cas des "revenge movies". On pourrait citer comme exemples emblématiques les Kill Bill et Django de Tarantino ou bien Taxi Driver de Martin Scorsese, mais aussi Thief de Michael Mann. La violence comme réponse à un préjudice subi est vue comme acceptable pour certains auteurs. Cela allant souvent jusqu'au meurtre avec préméditation. Là où Apocalypse Now diffère quelque peu c'est que l'idée de tuer le "méchant" est posée dès le départ. C'est même le fil rouge car le Capitaine se questionne du début à la fin sur cette acte. Il ne sait pas au début s'il passera à l'acte et lorsqu'il agit, il ne semble pas être sûr d'avoir fait le bon choix. J'y vois par conséquent une sorte de débat sur la peine de mort dans lequel Francis Ford Coppola n'a d'opinion tranchée. Et c'est probablement ce qui rend cette histoire si captivante. Cette part d'ombre amène un suspense long et intense. Peut être suppose-t-il effectivement que chaque être humain est à la fois bon et mauvais et que par conséquent le jugement est difficile ?


l'horreur dans la nature humaine : il est courant de dire que l'Homme est capable du pire comme du meilleur. Dans Apocalypse Now, le personnage de Brando répète "Horror, horror" plusieurs fois. Ses actes suivent ses paroles. Cela veut aussi dire qu'il est conscient de ses actes, qu'il est suffisamment intelligent pour comprendre l'indescriptible dérive de sa vie. Ainsi, cela amplifie quelque part cette idée d'horreur pour le spectateur. C'est cela même qui répond à quelques questions posées au début du film : le colonel Kurtz est-il devenu fou ? cette mission est-elle justifiée ?
Difficile de ne pas faire le parallèle entre le colonel et les innombrables intellectuels devenus dictateurs pour qui "crime" et "humanité" vont de pair.


la preuve sociale : c'est l'un des principes de manipulation décrit par Robert Cialdini dans le best seller "Influence et manipulation". Ce principe explique notamment pourquoi les gens font si souvent ce que font leurs semblables par mimétisme. Jeter son arme apparaît comme une évidence pour les milliers d'autochtones lorsque le capitaine jette la sienne à la toute fin du film. C'est l'idée du "mouton" qui suit ses congénères par défaut. Cela nous amène à la fouloscopie de Mehdi Moussaid : Comment manipuler une foule par contagion.


la guerre du Vietnam est une guerre sans idéal : cette idée est clairement mise en avant lors du débat franco-américain du film. C'est d'ailleurs assez ironiquement la thèse avancée par Godard dans son film à propos de la guerre d'Algérie : Le Petit Soldat. De là à dire que la nouvelle vague a influencé le nouvel Hollywood dans sa critique de la guerre, il n'y a qu'un pas. Le parallèle entre les deux films est d'ailleurs frappant car les personnages sont confrontés à la même problématique. Ils reçoivent tous deux l'ordre de tuer un ennemi, les deux en arrivent à être forcé d'agir car on ne leur laisse pas le choix. C'est une tragédie, une impuissance face à un conflit intérieur profond.


l'exploitation des hommes par les hommes : le colonel Kurtz est un symbole de l'exploitation des hommes par les hommes. C'est la représentation même d'Hitler ou de Staline (pour ne citer qu'eux), c'est l'horreur résultant de la puissance des idéologies. C'est l'horreur au profit de quelques êtres ayant le sentiment d'être supérieur. Kurtz se sait lui-même coupable d'atrocités mais est incapable d'arrêter tout cela de lui-même. Son égo est tel qu'il pousse la manipulation jusqu'au bout en se positionnant en victime. Il torture habilement la psyché du capitaine pour qu'il agisse enfin et obtient finalement ce qu'il souhaite. Par ailleurs, cette idée est explicitement abordé lors de la rencontre avec les colons français. Coppola remet ainsi en cause le colonialisme en Indochine que les français tente de justifier pour se racheter dans la scène du repas à table. Il donne à la fois une bonne et mauvaise image de la France : l'Homme blanc s'allie avec l'Homme blanc pour des intérêts communs au détriment de l'homme "jaune". L'Homme exploite autrui tout en se mentant à lui-même. Il justifie l'injustifiable pour garder sa cohérence, pour que sa vie fasse sens. N'est-ce pas l'une des racines du problème à l'origine de la guerre du Vietnam ? N'est-ce pas l'épée de Damoclès de la société humaine, celle qui mène aux pires horreurs ?

Supernuva
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le 1 nov. 2019

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