James Gray fait de ses émouvants souvenirs familiaux un mélodrame somptueux et une belle histoire d'amitié. Tout est réussi dans ce film et James Gray réussit à créer des personnages émouvants et complexes. Après sa série de polars (‘The Yards’, ‘La nuit nous appartient’) et une tentation vers la SF (‘Ad Astra’), James Gray prouve une fois encore, si c’était nécessaire, qu’il est bien l’un des plus grands.
Dans les années 1980, le jeune Paul Graff mène une enfance paisible dans le Queens, à New York. Avec Johnny, un camarade mis au ban de la classe à cause de sa couleur de peau, ils font les 400 coups. Paul pense être protégé par sa mère, présidente du conseil des parents d’élèves, et par son grand-père dont il est très proche. Mais à la suite d’un incident, il est envoyé à la Kew-Forest School. L'établissement est en partie administré par Fred Trump (père du futur président des États-Unis Donald Trump !) tout comme une bonne partie du Queens.
Il est presque cliché de dire que tout est filmé à hauteur d’enfant, ou plutôt de pré-adolescent. Tout est perçu de son point de vue. Ainsi on idéalise sa mère et on développe un lien très fort avec son grand-père qui sert à la fois de confident et d’avocat. En revanche, la relation au père est plus ambiguë. Ce dernier est capable de fortes colères et de faire preuve de violence physique. Evidemment, le jeune homme diabolise un peu son père et il est plus profond qu’il en a l’air. Au cours de deux monologues bouleversants, il se révèle plus sensible et on comprend alors que sa violence est révélatrice d’une inquiétude constante quant à la réussite de son fils.
Sur le fond, le film n’est pas sans rappeler ‘Les 400 coups’ de François Truffaut. Notre héros tente de s’échapper de sa vie familiale terne. Il s’échappe ainsi d’une visite scolaire au Guggenheim, fume un pétard dans les toilettes de son lycée, et caricature son professeur. James Gray cite d’ailleurs explicitement le film de Truffaut dans cette scène de vol d’un ordinateur qui rappelle celui de la machine à écrire des ‘400 coups’. Mais personnellement, je préfère ce film ci à son modèle. En effet, François Truffaut était un peu prisonnier du réalisme qu’il souhaitait pour son film. Ici, James Gray développe une belle ampleur romanesque, où l’émotion l’emporte sur le naturalisme.
‘Armageddon Time’ est un beau film sur l’amitié qui n’est pas sans évoquer ‘Au revoir les enfants’ de Louis Malle. Il s’agit également d’une amitié impossible. Dans le film de Malle, c’était celle entre un juif et un non-juif pendant la seconde Guerre Mondiale. Ici, c’est l’amitié entre un jeune blanc et un jeune noir dans l’Amérique des années 80. Leur amitié semble à la fois indestructible, c’est-à-dire plus forte que les préjugés raciaux, mais aussi fragile. Voire la scène cruelle, où le jeune Paul, dans sa nouvelle école, feint d’ignorer son ancien camarade. Il est intéressant de noter que si l’amitié risque de se fissurer, c’est davantage en raison des différences de classes sociales que des a priori raciaux.
Le film peut sembler apparaître comme une rupture dans la filmographie du cinéaste américain, c’est notamment son premier film avec un jeune pré-adolescent. En revanche, James Gray continue de cultiver certaines thématiques fécondes qui lui sont chères, le rapport à la famille et au judaïsme. Le jeune Paul est constamment rappelé à ses origines. On évoque l’antisémitisme quotidien à New York et dans une scène assez drôle, une tante s’insurge d’une supposée blague autour du nazisme. Les origines juives, dont le jeune homme ne semble pas faire grand cas dans sa vie quotidienne, apparaissent comme une pression invisible mais lourdes sur Paul. Il ne peut y échapper.
Les deux jeunes interprètes sont parfaitement justes, un peu comme tous les jeunes acteurs. Jeremy Strong est parfait dans le rôle de ce père qu’il joue sans manichéisme. Anthony Hopkins joue la sagesse et distille des conseils avisés à son protégé. Mais celle qui m’a bluffé, c’est Anne Hathaway. Elle avait joué jusque-là dans des flopées de nanards qu’elle alternait à des navets. Mais on l’a vu bien ces derniers temps, notamment dans le ‘Dark Waters’ de Todd Haynes. Elle est ici émouvante en mère débordée par sa famille, son fils, son mari. Elle tente de protéger son fils des crises violentes de son père mais craque, n’en peut plus.
Tout est réussi dans ce film merveilleux, de la photographie nostalgique de Darius Khondji aux soyeux mouvements de caméra. D’un beau romanesque, le film nous émeut aux larmes sans que James Gray se soit perdu ou enfermé dans les années 80. Au contraire, elles semblent faire échos aux années 2020 grâce à l’apparition le temps d’une courte scène de Fred et Maryanne Trump (Jessica Chastain, géniale) respectivement le père et la sœur aînée de l’ancien président des Etats-Unis.
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