Si les rêves d’avenir de tout enfant relèvent avant tout du charisme d’une profession, il sera nécessaire de passer par les étapes d’apprentissage et de gravir les échelons. Rien de plus rudimentaire en somme. Pourtant, sous la plume autobiographique du célèbre Frank Abagnale jr., Steven Spielberg et son scénariste Jeff Nathanson ne vont pas simplement se contenter de raconter l’extraordinaire l’histoire d’un homme ordinaire. Les multiples casquettes pour le jeune cinéaste d’Universal et d’un enfant qui a eu du mal à encaisser la séparation de ses parents, tout se recoupe dans la destinée du héros, violant sans cesse les lois et les barrières de ses ambitions. L’artiste en herbe, c’est à la fois Spielberg et à la fois ce jeune Frank, qui affronte le drame par la fuite, une forme instinctive du mensonge, dont on retiendra autant les vertus que ses désarrois dans la société contemporaine.


On fantasme et on rêve tous de s’envoler ou de s’enrôler dans une utopie qui nous baigne dans un confort si précieux qu’on a encore besoin de fabriquer du faux pour se divertir et survivre. Le cinéaste partage donc beaucoup avec le jeune débrouillard du comté de Westchester. Il doit constamment se réinventer pour surmonter les obstacles, où les traumatismes de son passé le rattrapent fatalement. Il fallait compter sur l’appui de Leonardo DiCaprio, qui est plus à son aise dans le costume d’un faussaire adolescent que dans celui d’un esprit vengeur, dans le « Gangs of New York » qu’il venait tout juste de tourner chez Martin Scorsese. Ce sera donc bien dans la loupe de Spielberg qu’il trouvera refuge, à la force d’une cinquantaine de jours de prises de vue, une efficacité aussi redoutable que les chèques en bois, pivot des arnaques et combines. Malgré tout, cette astuce n’a de valeur que si Frank gagne son duel avec son interlocuteur, censé lui blanchir les bouts de papier avec des liasses de billets verts.


Tout ne repose sur ce que l’on dit, non pas ce qu’on peut démonter ou encore moins confirmer. À ce jeu de cache-cache dans le système administratif laxiste, Frank gagne au change, en se faisant passer pour une rockstar des compagnies aériennes, un médecin urgentiste ou encore un professeur de français, rien que ça. La crédibilité de ses dires, personnes ne prend le temps de croiser les informations, sauf un homme, au chapeau trilby et à la rancune tenace. L’agent Carl Hanratty pourchasse un caméléon qui bouleverse l’intégrité du succès. Il est présent pour enterrer le rêve américain de Frank, une désillusion qui révélera successivement des couches mélancoliques d’un enfant, abandonné par ses parents. Tom Hanks incarne ainsi ce vieil adulte, consciencieux du sort de sa cible, qu’il comprend de plus en plus, à force d’essuyer les traces de ses dérives. Il lui sert de confident, voire de tuteur, après que sa figure paternelle (Christopher Walken) tombe également dans le subterfuge du criminel, qui n’hésite pas à réviser ses rôles dans les salles obscures, au crochet d’une télévision ou bien dans les bandes dessinées, tout un tas de médiums, qui le réconfortent dans sa cavale.


Rien n’est laissé au hasard dans ce portrait ludique, à l’image d’un générique d’ouverture jazzy, où John Williams s’aligne parfaitement sur le polar burlesque qui en découle. « Arrête-moi si tu peux » (Catch me if you can) impressionne dans la simplicité de la narration, qui pourrait flirter avec d’autres œuvres d’espionnage dans une certaine mesure. Le héros charmeur est pourtant vulnérable derrière ses mensonges, aussi calculés ou improvisés soient-ils. Spielberg capitalise tout sur l’empathie du public sur cette figure du marginal, qui tombe de haut et qui traîne ce sentiment de ne pas honorer les responsabilités qui lui incombent. Ce jeu propose autant de rires que de larmes pour exprimer le besoin d’être considéré. Le soir de Noël reste un rendez-vous à ne pas manquer, que ce soit à l’autre bout du téléphone ou bien au chevet de ses souvenirs. C’est alors que la maturité peut apparaître à Frank, qui n’a plus d’intérêts à courir aux quatre coins du monde, pour la simple et bonne raison qu’il a retrouvé son indépendance et une vie similaire aux motifs dont il s’est brillamment inspiré.

Cinememories
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le 13 févr. 2023

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