Arrête-moi si tu peux par RemyD
Sorti du futur policé et paranoïaque de Minority Report, Steven Spielberg se plonge corps et âme dans une époque libre et insouciante : les années 60. Il entraîne avec lui dans cet univers haut en couleur Leonardo DiCaprio et Tom Hanks qui jouent au chat et à la souris.
La souris en question s'appelle Frank Abagnale Jr. (DiCaprio) et le chat c'est Carl Hanratty (Hanks). A seize ans Frank est confronté au divorce de ses parents car la situation financière de son père (Christopher Walken) part inexorablement à vau l'eau. A la même période, il surprend sa mère (Nathalie Baye) avec son amant. Il quitte le domicile familial et se fait passer pour un pilote de ligne. Il passe quelques années de sa jeune existence dans le mensonge en devenant tour à tour médecin, collectionneur d'aventures sans lendemain et avocat. Il devient aussi un as dans la contrebande de chèques et extorque des millions à son pays. C'est là qu'intervient Carl, un excellent fonctionnaire du F.B.I, spécialiste des fraudes.
Après la noirceur de Minority Report, Steven Spielberg éprouvait le besoin de revenir à quelque chose de plus léger et quand il tombe sur le script de Arrête-moi si tu peux, il sait d'emblée qu'il tient là le sujet de son nouveau film. DiCaprio sort lui aussi d'un tournage éprouvant (le chef d'œuvre de Scorsese, Gangs of New York) et s'avère être un fan du livre de Frank Abagnale Jr. Dès lors, tout va très vite. L'équipe est opérationnelle du jour au lendemain et l'on tourne très vite, multipliant jusqu'à quatre extérieurs dans une même journée. Et ce rythme se ressent à merveille à la vision du film. Spielberg élimine d'office tous les temps morts. Le spectateur est embarqué dans une aventure trépidante vécue par des personnages bigger than life. Le père d'E.T. soigne méticuleusement ses rôles secondaires. Nathalie Baye incarne une Française qui connut très jeune l'amour avec un GI lors de la libération de son pays en 1944 et le suivit logiquement jusqu'aux Etats-Unis. Cet ancien soldat en question n'est autre que l'immense Christopher Walken qui tient une nouvelle fois un personnage touchant et magnifiquement désabusé. Spielberg se permet même de l'utiliser à contre-emploi en faisant de lui un piètre danseur, alors que Walken possède un très large registre dans ce domaine, comme il le prouve admirablement dans un clip de Fat Boy Slim. On croise aussi Martin Sheen en patriarche, Jennifer «Alias» Garner en entraîneuse et Amy Adams en fiancée naïve, mais honnête. C'est d'ailleurs la seule personne que Frank rencontre qui pourrait le faire changer et revenir à une vie plus normale.
Avec cette galerie de personnages, Spielberg se lance sur les traces de l'immense Frank Capra. Il ne les édulcore pas et nous les rend attachants malgré leurs nombreux défauts. La mère de Frank par exemple est une femme un peu lâche qui préfère refaire sa vie plutôt que d'affronter les affres de son mariage. Carl Hanratty est un fonctionnaire avec tous les inconvénients qui confèrent à son métier si bien que ses malheureux collègues ne le supportent que péniblement à cause de son incroyable manque d'humour. Même le héros, Frank Abagnale, n'est pas dépourvu de points négatifs. Mais tout ce petit monde devient sympathique car la victime de la formidable arnaque du film n'est autre que le gouvernement et cela fait un bien fou de voir les autorités roulées dans la farine par un adolescent espiègle. Et c'est là que la mise en scène de Spielberg devient jouissive et pleine de trouvailles astucieuses pour matérialiser l'ingéniosité de Frank. C'est un bonheur de le voir inventer de faux papier, de se payer un luxe inatteignable avec de la monnaie de singe et de se faire passer pour un haut membre de la jet set. Mais le film ne s'arrête pas là, car les scènes entre Walken et DiCaprio atteignent une émotion tangible. Convaincu de pouvoir raccommoder son père et sa mère, Frank s'efforce de les rapprocher, mais c'est peine perdue. Il essaie alors de refaire une santé financière à son père en lui offrant une voiture flambant neuve, mais celui-ci refuse, car il ne veut pas profiter de son fils qu'il croit honnête et bon travailleur.
L'autre attrait de cet excellent film réside dans l'ambiance des années 60, sublimement reconstituées. Les costumes et les décors sont en parfaite adéquation avec l'époque. On commence dans la grisaille, puis l'ascension de Frank nous emmène dans des tons beaucoup plus chauds, plus légers, plus libre avant de retomber dans la monochromie des bureaux du F.B.I. Ce tour de force, Spielberg le doit à ces collaborateurs Mary Zophres pour la garde-robe, Jeannine Oppewall pour les décors, Janusz Kaminski pour la lumière et l'incontournable John Williams pour la musique dont Arrête-moi si tu peux marque la vingtième collaboration avec le cinéaste. Dès le générique, le compositeur habitué aux grosses machines, surprend par sa partition jazzy qui accompagne à merveille le délicieux cartoon réalisé par Kuntzel et Deygas. Cette séquence admirable plonge d'emblée le spectateur dans cette légèreté plastique qui donne au film un air de fausse comédie à moins que cela ne soit un faux air de comédie, car le sujet reste malgré tout assez grave quand on se place du côté de Carl Hanratty. Ce brillant fonctionnaire se trouve face à un adolescent qui incarne tout ce qu'il combat depuis des années. Mais son admiration pour l'excellence de son client le transforme petit à petit en une sorte de second père, Lorsque arrive la conclusion, il devient même son sauveur, celui qui lui évite des années d'enfermement. Mais il ne faut pas voir là une quelconque morale, car Spielberg ne juge pas les gens qu'il met en scène. Il se contente, et c'est là toute la force du film, de les faire revivre à l'écran, eux qui ont tous existé comme le prouve la petite phrase du début du générique : basé sur une histoire vraie.
Et en faisant Arrête-moi si tu peux, Spielberg se met aussi un peu en scène, car il avoue aujourd'hui :"La toute première fois que j'ai tenté de devenir réalisateur de studio, je me suis métamorphosé en cadre... de seize ans et demi. J'ai mis un costume et une cravate, j'ai empoigné un attaché-case et j'ai franchi l'entrée principale d'Universal. Pendant ces trois mois d'été. J'ai arpenté cinq jours sur sept tous les recoins des studios. J'ai été, durant ce laps de temps, rien moins que... Frank Abagnale..."