Laurent Cantet étant un cinéaste que j’affectionne particulièrement, il m’est un peu difficile d’écrire ces quelques lignes. Surtout que le talent de réalisateur de l’auteur de l’Atelier et d’ Entre les murs n’est pas vraiment en cause ici. En effet il filme cette histoire avec le même soin, la même vitalité et le même souci du réel qu’il a eu dans tous ses précédents films. Rien à dire du côté de la photo ou de l’interprétation non plus. Si le personnage de Karim D interroge en lui-même- on y reviendra plus loin-ce n’est nullement la faute de son interprète Rabah Naït Oufellah.
Non le problème avec cette histoire, qui s’inspire vaguement de l’affaire Medhi Meklat, c’est celui de son angle d’ approche. Pour résumer très rapidement le pitch, un jeune écrivain à succès, issu des banlieues et des minorités comme on dit, voit soudain son passé le rattraper sous la forme de tweets antisémites et haineux écrits sous un pseudo (le fameux titre du film). Cantet choisit de traiter le sujet comme une sorte de cauchemar éveillé, filmé quasiment en temps réel. On y suit, la descente aux enfers d’un jeune homme dans la tourmente, qui n’a rien vu venir et qui se décompose progressivement au fur et à mesure que le film avance. Comme pour illustrer ce processus de chute, la caméra ne le lâche pas d’une semelle dans sa dégringolade.
Stylistiquement ce choix peut se défendre même s’il semble plus adapté à un court métrage un peu expérimental (ce que le film, avec une durée de seulement 1h 27, n’est pas loin d’être) qu’à un véritable film de société. Du coup ça donne à cette histoire très moderne de déchéance sociale quelque-chose d’ un peu anecdotique et superficiel, alors que les sujets sous latents sont pourtant sociologiquement des plus complexes et épineux.
En d’autres termes ça manque de hauteur de vue et de contexte pour qu’on puisse vraiment comprendre les tenants et aboutissants de ce qui nous est montré à l’écran . Le personnage de Karim D par exemple apparaît au spectateur comme un gars plutôt banal. Il nous est pourtant paradoxalement présenté comme étant brillant, avec déjà une réussite sociale considérable et ayant visiblement noué une multitude de contacts dans des milieux très différents. Comment tout cela est -il arrivé ? Quel est son background, son parcours ? On ne le saura pas et ce sont pourtant tous ces ingrédients là qui permettraient de vraiment comprendre le drame personnel qu’il vit. Par son choix délibérément elliptique, centré sur l'immédiat et l’instant présent, le film pose un peu ses propres limites et c’est dommage.
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