Il m'a fallu des années pour apprécier pleinement cette aventure semi-inédite d'Astérix (ce joyeux mélange d'album, plutôt, à savoir "Le combat des chefs" et "Le devin"). Déjà, mélanger les albums paraît rarement une bonne idée - le tintin de Spielberg en a fait la désagréable expérience quoiqu'il n'ait pas si mal géré sa salade - mais conférer à Astérix, icône malicieuse et atemporelle des problématiques et une ambiance grave et presque angoissante...C'était sacrément risqué.
Le résultat, sans surprise, n'était clairement pas adapté à un public plus jeune. "Le coup du menhir" m'a laissé des souvenirs déplaisants, plus apparenté à un cauchemar sous hallucinogène qu'un dessin animé du petit gaulois. Et pourtant, plus que de menhir, ce film d'animation est un coup de génie. Il sait poser une ambiance incroyable, anxiogène, dans des décors aux teintes maladives dont la lumière évoque un crépuscule permanent, sachant faire monter le suspense et la tension à la perfection : si on est habitués à voir les gaulois se débattre avec leur dissensions internes (souvent poissonneuses...) ou l'envahisseur romain, la menace est tangible, pesante et le spectateur éprouve une réelle inquiétude pour le village, qui trouvera son point culminant dans une scène d'une mélancolie inattendue dans une aventure d'Astérix.
Pour autant, l'humour n'est pas le grand absent de cette adaptation mais dans ce contexte il arbore un ton plus grinçant, notamment via Astérix (doublé comme à son habitude par un Roger Carel impeccable) et une forme plus subtile que "donner baffes aux romains" (qui pour le coup s'en ramassent assez peu ici...).
Le dessin animé prend le parti ici d'aborder des thématiques plus graves - ou du moins de leur donner l'intensité grave qu'elles méritent - les conséquences de ses actes (Obélix qui traîne sa culpabilité d'avoir rendu Panoramix fou et d'avoir mis en péril le village par son inconséquence), la folie, les abus sectaires (via un devin "bad guy" ô combien efficace et manipulateur), la perte de confiance...On voit le village se déchirer sous le rire hystérique d'un panoramix qui a totalement perdu la boule, à l'image de la désorientation des gaulois, en quête de guide. Même astérix, évincé au profit du devin, semble perdu et peine à prendre la place de décideur qui lui revient pourtant par défaut. Cette excellente "déconstruction" des personnages montre une analyse très fine de l'univers d'Uderzo et Goscinny qui n'est ,rappelons-le, pas qu'une immense farce destinée à faire rire. L'équipe du film l'a parfaitement compris et rendu à l'écran : en se détachant de l'ambiance légère des albums pour proposer une mise en scène plus grave - et même cauchemardesque par moments - elle n'aura jamais été aussi proche du travail des auteurs.
Chapeau.