Cela devait bien finir par arriver. J'ai rédigé une critique sur ce site. Pourquoi ai-je franchi le pas me direz vous ? Rien de plus simple car je n'aurais pu, après visionnage, laisser ce film sans le moindre avis un minimum pertinent. Kurosawa, Mizoguchi, Ozu et Naruse ont formés le quadriptyque de ceux qui boosteront la popularité du cinéma japonais en leur temps. Le désavantage est que sont restés sur le carreau une petite fournée de réalisateurs qui, s'ils sont très estimés chez eux, n'ont guère reçu de réelle considération à l'international. Hiroshi Shimizu, Yasujiro Shimazu ou encore Shiro Toyoda sont autant de figures snobées auxquelles peut se rajouter Heinosuke Gosho qui, pourtant, sera l'auteur du premier film parlant japonais.


Après une première incursion dans sa filmographie avec le très sympathique Une Auberge à Osaka, il était temps d'approfondir le personnage et mon choix se porta sur Ayako la Maudite et Dieu quelle belle séance j'ai passé. Teintée de beauté mais aussi d'amertume de savoir qu'il fait partie de ces oeuvres qui resteront à jamais dans l'anonymat, voilà une séance mettant en scène un scénario d'apparence classique, presque déjà-vu. Une femme semant bien malgré elle la mort dans son sillage. Moui pourquoi pas mais entre les mains de Gosho, l'amplitude inattendue nous scotche. Entre la pauvreté qui oblige des familles à envoyer leurs enfants subvenir à leurs besoins et la condition des femmes soumises aux hommes dans leur métier de geisha, le cinéaste dresse le portrait de tout ce qui ne va pas dans ce Japon. Le spectateur, constamment tiraillé entre l'empathie et l'hostilité envers ces mères et pères qui ont condamné leur fille à un métier peu reluisant, est invité à suivre la belle bouille de Ayako, incarnée par une superbe Jitsuko Yoshimura, sombrer dans l'inéluctable. La force du film réside aussi dans son audace, mixant intelligemment la romance en l'enveloppant d'une fine couche de thriller où, en cerise sur le gâteau, une atmosphère fantastique plane sur cette auberge, véritable point de chute où perversion et souffrance en sont les maîtres mots d'une Ayako perdue, esseulée, qui voit de plus en plus sa vie et ses espérances s'envoler au rythme des quolibets et regards désobligeants que la populace lui lance. Destinée à porter sur elle le lourd fardeau de femme fatale, son statut de "maudite" ne réside pas seulement dans le fait qu'elle entraîne indépendamment de sa volonté (quand même hein !) des hommes dans la mort mais aussi dans le fait qu'il lui est impossible de se lier véritablement à un homme. Un superbe double sens dans ce titre où se concentrent passion, souffrance, peur et désenchantement. Gosho se plaît de jouer sur son noir et blanc qu'il peut parfois rendre aveuglant ou ténébreux. En d'autres termes, tantôt il y a la joie, l'instant d'après les lamentations.


Par la même occasion, Gosho nous laisse dans un doute constant, en agrémentant son histoire d'une tension fantastique comme précédemment cité. Arrivé à la fin après le point culminant qui n'est autre qu'un exorcisme, le doute subsiste. Ayako était-elle habitée par des forces démoniaques ou tout cela ne résulte que d'un malheureux concours de circonstances qui aura eu raison d'elle ? Pour tout amateur de cinéma japonais, Ayako la maudite est indubitablement un long-métrage fascinant à suivre qui, s'il n'est pas un chef-d'oeuvre, n'en demeure pas moins un très bon film que l'on ne se lassera pas de regarder une seconde fois. Bon boulot Monsieur Gosho !

MisterLynch
8
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le 22 déc. 2020

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MisterLynch

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