Texte revenant sur l’intégralité de la saga « Baby Cart ».
S’approprier le chambara pour le réinventer à la sauce du western spaghetti. C’est ce que propose les épisodes de la saga « Baby Cart », parrainée par le réalisateur Kenji Misumi, qui fait ici l’étalage de toute son inventivité, réhabilitant également l’industrie du cinéma japonais entrant dans les années 1970, à l’aube de l’explosion de la culture manga. Ballet de sang en plein Japon médiéval, « Baby Cart » étonne dès l’introduction du premier épisode : « Le Sabre de la Vengeance », sorti en 1972, où sont mis en œuvre plusieurs procédés narratifs dopant d’emblée le métrage dans le rang du film de samouraï psychédélique. Le film, non-dépourvu d’une certaine élégance, plonge crescendo dans les expérimentations narratives et visuelles, à l’image de son générique sous forme d’oxymore, montrant Ogami Itto et son fils Daigoro entre l’eau et les flammes.


Si chaque opus dispose d’une durée assez courte (jamais plus de 90min), chacun se targue d’une forte singularité, et développe ses propres personnages, servant ainsi la création d’un univers riche où les dialogues bouleversent de par leur subtilité et où les combats bourrins ne manquent pas d’éclater la rétine, tant via leur aspect parfois comique que leur violence exacerbée. « Baby Cart » est donc un bateau en perpétuelle transformation, naviguant entre un certain classicisme typique du chambara et des délires baroques particulièrement décomplexés. Geysers d’hémoglobine où aucun meurtre ni aucun combat ne se ressemble, la saga n’hésite également pas à s’aventurer dans de nombreux genres, avec notamment le fantastique, très présent dans le dernier épisode intitulé « Le Paradis blanc de l’Enfer ». L’ombre de la tragédie plane également sur cette histoire de deux orphelins de la société, avec le personnage de Daigoro, enfant d’Ogami Itto. Ses allures spectrales, son regard vide et son mutisme en font un être qui n’appartient plus à ce monde. D’ailleurs, le seul geste tendre qu’Ogami Itto aura pour son fils se situe dans le premier épisode, lorsque l’enfant choisi le royaume des morts (son père) plutôt que la société des vivants (sa mère).


Si elle excelle sur son aspect matricielle, la série semble toutefois se faire rapidement surpasser par son coté commercial. Si chaque épisode redouble en action, chacun est, paradoxalement, moins épatant que le précédent. Si le premier volet pose les bases, c’est le deuxième qui achève la mise en place définitive de l’univers au sein duquel évoluent Ogami et Daigoro. Mais petit à petit, au fil des films, le scénario devient un prétexte pour iconiser des nombreuses scènes d’action allant toujours plus loin au profit des archétypes. Si le samouraï est un héros cinématographique emblématique, c’est parce qu’il représente parfaitement la dualité entre ses codes et ses intérêts personnels. Et les films « Baby Cart », si ils montrent avec subtilité la schizophrénie de cette caste, ne vont, pour la plupart, pas aller creuser plus loin que ce que l’on peux voir. Résultat ? Si la saga gagne petit à petit un aspect ludique et romanesque très prononcé, elle finit par totalement abandonner ses personnages, souvent condamnés à effectuer les mêmes actions. Pour faire plus bref, elle demeure, jusqu’au dernier volume, fun, mais finit par devenir dispensable.


Alliant beauté sauvage et force évocatrice, la saga « Baby Cart » est un trésor de cinéma. Mais la clef de ce trésor est si facile à trouver que l’aventure n’a même pas le temps d’avoir réellement lieu. Si la saga n’évolue plus au bout d’un certain nombre d’épisodes, reste tout de même une inventivité et une virtuosité difficilement égalable en terme de pur divertissement à forte dose d’ultra-violence jusqu’à l’outrance. Et plus qu’une histoire de Talion, « Baby Cart » dévoile surtout l’amour démesuré d’un père damné pour son fils. Un objet de cinéma indémodable et procurant un plaisir inouï. Aussi imprévisible que la lame d’Ogami, cette saga, dense et allégorique, réinvente totalement le chambara, résistant de mieux en mieux au temps. Incantatoire.


« Le sabre de la Vengeance » : 8/10
« L’enfant Massacre » : 8/10
« Dans la terre de l’ombre » : 7/10
« L’Âme d’un père, le cœur d’un fils » : 6/10
« Le territoire des démons » : 6/10
« Le Paradis blanc de l’Enfer » : 6/10

Kiwi-
8
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Cinéphilie en 2017 par un valeureux kiwi sans vert dans son fruit

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le 25 avr. 2017

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