Pérenniser une série, respecter les exigences commerciales qui lui sont imposées, tout en conservant sa sève créatrice, telles sont les ambitions de Kenji Misumi à l'entame de cette seconde adaptation de Lone Wolf and Cub. Un challenge que notre homme relève avec un talent certain en privilégiant la dimension ludique, au détriment sans doute de la fidélité avec l'œuvre originale, et en donnant toute son importance à l'esthétique entrevue dans Le Sabre de la Vengeance, offrant à la série Baby Cart une signature visuelle désormais caractéristique.


Tourné dans la foulée du premier épisode, L'Enfant Massacre est porté par le désir impérieux de pousser les manettes du gore et du fun au maximum, sans s'encombrer de ces trucs superflus que l'on nomme développement narratif ou psychologique et qui encombrent bien trop souvent les productions cinématographiques... Ainsi le scénario, déjà guère épais dans ce type de production, est réduit à sa plus simple expression, oubliant rapidement toute velléité narrative ou dramatique (tant pis pour le manga!) pour se concentrer uniquement sur ce qui intéresse le spectateur friand de bisserie sanguinaire aromatisée à la sauce chambara, à savoir les combats, et tenter d'apporter une réponse à la seule question qui taraude son esprit : de quelle manière notre héros va-t-il tuer, massacrer, faire passer de vie à trépas, décapiter, couper en tranche, éventrer, écharper, pulvériser, démembrer, ses différents adversaires ?


Afin de mieux potentialiser ses effets, Misumi épure au maximum sa narration, délaissant enfin le verbiage et les nébuleux flashbacks, et concentre toute son attention sur ses talents de sabreur de son héros. L'idée est simple, contrairement au chambara qui fait mijoter son spectateur en repoussant l'arrivée de la violence, L'Enfant Massacre lui donne immédiatement satisfaction en offrant une orgie de taillage de chair. Tout le talent du cinéaste réside alors dans sa manière d'exploiter visuellement cette violence afin d'éviter le scabreux et d'exalter les doux plaisirs régressifs.


Dès la séquence inaugurale, qui voit Itto se préparer à sauter en prenant appuie sur un sabre enfoncé dans la caboche de son adversaire, le ton est donné et on sait que l'on va assister à une histoire délirante, gore et ludique, où le sérieux n'est surtout pas de mise ! À partir de là, Misumi exploite pleinement le plaisir lié au jeu, de massacre évidemment : chaque séquence est une nouvelle épreuve à traverser, un nouvel adversaire à éliminer, une nouvelle façon de tuer à expérimenter. C'est simple, linéaire, non cérébral, et ça fonctionne du feu de Dieu.


Il faut dire que Misumi se montre particulièrement inventif pour éviter la lassitude : l'efficacité des combats est assurée par leur concision ; le plaisir est renouvelé grâce à la variété des "méchants" rencontrés, des lieux traversés et des armes utilisés. On appréciera ainsi quelques trouvailles qui reprennent à leurs comptes le thème du jeu, comme des armes en kit ou encore un landau qui se transforme en char de combat.


Mais on savourera surtout une esthétique qui fait joliment le lien entre le western spaghetti et les films de sabre asiatique (Japon, HK), entre le chambara et le cinéma d'exploitation nippon. Ainsi le visuel des différents méchants est travaillé, exaltant leur perfidie ou leur cruauté, rendant d'autant plus délectable le spectacle de leur destruction. Ces derniers sont tellement bien dessinés qu'ils transcendent la caricature et marquent durablement notre imaginaire : d'ailleurs, l'imagerie véhiculée par ces femmes ninjas et ces tueurs au large chapeau est tellement forte, qu'elle influencera de nombreux cinéastes par la suite, Tarantino et Carpenter notamment. Le visuel d'Ogami Itto est lui aussi particulièrement soigné : silhouette imposante, vue en contre-plongée, maniérisme dans sa façon de rengainer son sabre, tout est fait pour exalter la dimension "badass" du personnage admirablement incarné par Tomisaburo Wakayama. Et même si on frôle à de nombreuses reprises le too much, l'imagerie installée est des plus plaisantes et on comprend aisément pourquoi ce film a été une source d'inspiration pour l'univers du jeu vidéo.


Toutefois, on sent Misumi soucieux de ne pas trop se disperser et bride quelque peu son délire imaginatif : avec L'Enfant Massacre, les petites fantaisies visuelles, qui faisaient le sel du premier opus, se font plus rares comme s'il craignait de surcharger une image déjà bien saturée en violence et en gore. Ce qui, d'ailleurs, n'est sans doute pas une mauvaise initiative... On appréciera néanmoins quelques séquences audacieuses et séduisantes, comme ce combat où Itto apparaît au centre de l'image tandis que ses adversaires ne sont visibles qu'en surimpression, cette utilisation du zoom compensé qui accentue la frénésie ambiante, ou encore ce travail sur la couleur rouge qui irradie le sable, annonçant l'imminence du massacre...


Évidemment, ce film a les défauts de ses qualités, et on peut déplorer son aspect simpliste, linéaire, et une narration qui ne peut s'empêcher d'être redondante malgré la brièveté de la péloche. On peut surtout regretter le peu d'attention portée au personnage principal et à sa relation avec son fils Daïgoro. Car, comme bien souvent, c'est lorsque la caméra s'éloigne de la fureur des combats que le film gagne en intensité : c'est la tendresse qui s'installe lorsque le fils tente de soigner son paternel, c'est toute l'ambivalence d'un homme qui apparaît enfin au détour d'un superbe panoramique, lorsque le père pose un regard protecteur sur son louveteau tandis que le guerrier reste sur le qui-vive, à l'affût d'un éventuel danger. Ainsi, avec parcimonie et une pointe d'élégance, Misumi parvient à instiller, au milieu d'un film de castagne, de bien jolies nuances.


7.5/10

Procol-Harum
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le 19 nov. 2022

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