On a beau faire, impossible d'évoquer ce film sans passer par la case débat.
C'est une oeuvre à polémique, on dirait même qu'elle a été produite pour faire polémique, bien que Lellouche s'en défende en interview. Ils auront beau dire, personne ne me fera croire que les scénaristes ne voulaient faire qu'un produit à divertissement efficace. Il y a un vrai propos derrière cet objet, et il est important de le décoder.
En premier lieu, non, ce n'est pas un appel à voter Le Pen, comme certains l'ont prétendu. Il y a un constat alarmant certes, mais à aucun moment il n'est dit que la solution est de voter extrême droite.
En revanche, il faut bien parler du constat. Comment le monde des cités est-il traité? Eh bien, c'est caricatural, il faut bien le dire. Je ne connais pas les quartiers Nord de Marseille, mais j'ai échangé avec certaines personnes qui y ont travaillé. Moi-même exerçant dans le 93 depuis plus de dix ans, je connais un peu le monde des cités. Et je pense que cette fiction exagère beaucoup. Les cités y sont vues comme des fiefs indépendants, impénétrables, où règnent les seigneurs de la drogue, qui tiennent sous leur coupe toute la population. Tous font la guerre à la police, tous lui vouent une haine sans bornes. C'est une vision totalement fausse, beaucoup trop schématique. La réalité est beaucoup plus complexe.
Cependant, s'il est très exagéré, voire poussé à bout, il faut bien reconnaître que ce constat est proche de la réalité. Le personnage joué par Gilles Lelouche le dit bien au début du film : "On ne sert plus à rien. On n'aide pas les gens." Et c'est vrai. Il est temps de s'interroger sur la fonction d'une police qui ne parvient pas à enrayer l'engrenage criminel des cités. Malgré de grosses maladresses, les scénaristes ont su appuyer là où ça fait mal. Certes, on peut leur reprocher de ne proposer aucune solution, mais bien malin celui qui la trouve.
Deuxième problème : dans la dernière partie du film, un fait divers d'actualité est évoqué. Les policiers sont traités comme des criminels, alors que, de leur point de vue, ils n'ont rien fait de mal. Et c'est là que le bât blesse. L'intrigue se transforme un peu en mélo, avec larmes et scènes poignantes à l'appui, crises de nerfs, retrouvailles dans le parloir, bref la totale. A aucun moment on n'essaie de nous faire comprendre clairement ce qui leur est reproché. Les auteurs nous le martèlent bien : ils sont les victimes d'un système injuste, absurde, d'une cohorte de menteurs et d'hypocrites. Leur carrière est gâchée parce qu'ils ont fait ce qu'ils devaient pour arrêter les gros trafiquants. C'est la version de la défense, et on n'en sortira pas. Aucune nuance, aucune subtilité, aucune distance. C'est presque de la propagande. Et c'est bien dommage, car ce qu'on demande à une oeuvre d'art, c'est de la complexité, du trouble, pas du simple, pas du schématique. C'est là que ça m'a le plus gêné.
Cependant, ma note reste assez bonne. En effet, on ne peut nier l'efficacité du film. Les personnages sont montrés tels qu'ils sont, grâce à des acteurs très solides. Ces flics sont des rigolos, perdus dans un système pervers qui les étouffe. Condamnés à faire du chiffre, ils se débattent en vain, ils arrêtent des trafiquants minables, confisquent des chapeaux, des paquets de cigarettes de contrebande. Ils font semblant. C'est là que le film m'a le plus intéressé. Ce sont des pantins sans boussole, qui n'ont plus de fonction réelle. Ils s'agitent, arrêtent des gens qui ressortent quelques jours après au pire. Et parfois ils les relâchent avant même de les amener au poste, quand ils ont enfin la chance d'avoir un peu d'action ailleurs.
Les séquences dans les cités, si elles ne sont pas réalistes, sont extrêmement bien tournées, et assez bien documentées. On ressent l'angoisse d'un espace clos, où chaque centimètre carré est utilisé pour le trafic, des aires de jeu aux bennes à ordures. Tout est organisé. Chaque soldat est prêt à tout pour sauver la marchandise, seul patrimoine de ces lieux abandonnés de l'Etat. C'est un système féodal qui est montré là, avec ses chevaliers, ses maîtres et ses esclaves.
Bref, avis mitigé. Quelques qualités, de grosses maladresses, un parti-pris très discutable. Bon, ça reste dans l'ensemble un film sympa à suivre, ne soyons pas chagrins.

Shimura
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le 28 août 2021

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