Dans Les Illusions Perdues de Balzac, roman réaliste, le protagoniste Lucien de Rubempré, à la fois héros et anti-héros, aspire à un idéal (la gloire, la reconnaissance, la sortie de la misère) mais ses pieds sont empêtrés dans la réalité, dans ses origines sociales, dans ses limites intrinsèques.
Voilà qui n'est pas sans rappeler Bellissima, dont la protagoniste, Maddalena Cecconi (remarquablement interprétée par A. Magnani), souffrant de la même désillusion, se retrouve séparée par le même fossé. De cet écart irréductible naît l'hystérie qui la poursuit, elle qui, femme du peuple, innocente mais pas tant que ça, émotive à l'extrême (même quand elle surjoue) incarne un magnifique portrait de mamma à l'italienne, souhaitant comme n'importe quelle mère le meilleur pour sa fille (et pour elle indirectement, l'enfant n'étant qu'un miroir du progéniteur), touchante de dévotion filiale et en même temps incompréhensible par sa lubie dévoratrice. Mais il ne faut pas se méprendre en accablant Cecconi de cette folie. En effet, elle apparaît moins coupable que victime d'un système de starification, vendeur de rêves, qui la piège. Et c'est là que se glisse une critique mordante du cinéma, dépeint comme monde des apparences, du faux (les coiffures, les robes, les vendeuses de talent, ...), des promesses non tenues, du mensonge.
Derrière ces thèmes principaux se cache ce qui compose l'essence du néo-réalisme, car l'arrière-plan montre une image sans concession de la société de l'époque: les relations conjugales d'alors (homme plutôt absent, ne s'occupant guère des enfants, ayant le pouvoir à la maison, levant la main sur son épouse alors que la femme demeure à la maison, est peu libre, soumise même), les difficultés matérielles (les fins de mois difficiles, les calculs au sou près) et la vétusté de l'habitat (pesante promiscuité), l'absence de frontière entre l'intime et le privé (les voisines qui s'invitent à la maison, vraies commères se mêlant littéralement des affaires des autres, la belle-mère donnant inopportunément son point de vue), le tout véhiculé par une langue orale pleine de répartie, de drôlerie et de stridences assourdissantes.
Malgré une image assez soignée, un scénario de base très solide, Visconti se perd en réécrivant la fin, trop longue, peu vraisemblable, maladroit retournement de situation se voulant moins dramatique et plus noble pour la femme du peuple. Dommage, car l'ensemble aurait mérité mieux.