The Black Phone 2 — Quand la peur prend corps dans le sang et la glace

Après le succès inattendu du premier volet — film d’horreur mêlant huis-clos oppressant, éléments surnaturels discrets et personnage marquant — le réalisateur Scott Derrickson et le scénariste C. Robert Cargill prennent un virage clair : The Black Phone 2 assume davantage le motif « souvenir traumatique devenu monde de cauchemar ».
On y retrouve certains traits forts du premier film : la figure de l’« Attrapeur » (The Grabber), la cabine téléphonique noire comme artefact-terrificateur, le traumatisme survivant. Mais le décor et l’approche changent : le lieu désormais est un camp chrétien d’hiver isolé par une tempête de neige, la menace moins confinée, le surnaturel plus explicite.

Trois ans après le succès du premier Black Phone, Scott Derrickson revient avec une suite que peu attendaient, mais que le marché du cinéma d’horreur appelait presque naturellement. The Black Phone 2 s’inscrit dans cette zone trouble où le traumatisme devient matière de franchise, où l’intime se dilue dans le spectaculaire. Si le premier film fascinait par son économie de moyens, sa rigueur d’espace et son rapport organique à la peur, cette suite opte pour l’expansion : plus de lieux, plus de fantômes, plus de bruit.

Et c’est peut-être là, dans cette inflation des signes, que se joue tout le paradoxe de The Black Phone 2 : vouloir grandir sans trahir, approfondir sans se répéter.


Du sous-sol à la neige : un changement de climat, physique et mental


Le premier Black Phone (2021) enfermait littéralement le spectateur : la cave du Grabber (Ethan Hawke) était à la fois le décor, la métaphore et la prison du film. Ce huis clos d’une rigueur presque carpenterienne faisait de chaque plan une respiration comptée. Le téléphone noir, objet magique et métaphorique, y résonnait comme le seul lien entre les vivants et les morts – et entre le cinéma d’horreur et sa propre mémoire.


Dans The Black Phone 2, Derrickson choisit l’ouverture : l’espace s’élargit, la caméra sort à l’air libre, l’angoisse se déplace du confinement à l’isolement. Nous ne sommes plus dans un quartier urbain mais dans un camp chrétien hivernal perdu et isolé par une tempête de neige, où Finney (Mason Thames), désormais un adolescent qui se réfugie dans l' "aromate de Satan" et la violence, tente de se reconstruire après son enlèvement.

Ce nouveau décor, balayé par le vent et la neige, fonctionne comme un miroir inversé : là où le premier film comprimait la peur, celui-ci la dissout dans un paysage. Mais cette ouverture spatiale s’accompagne d’un risque : à vouloir étendre la peur, on finit par la diluer.


Le froid devient pourtant un acteur. Le silence neigeux remplace le silence du sous-sol, la blancheur remplace le noir ; mais cette mutation esthétique n’a pas la même puissance symbolique. Là où l’enfermement permettait à la mise en scène de condenser le mal, l’horizon gelé du deuxième film tend à disperser son intensité.


Et pourtant, quelque chose demeure : le téléphone noir.


Cet objet, d’abord simple instrument de survie dans le premier film, devient ici un véritable totem narratif et spirituel.

Il ne relie plus seulement les morts aux vivants : il relie le passé au présent, la peur ancienne à celle qui renaît et les questions aux révélations

Le téléphone, hors service mais jamais muet, reste le cœur battant du film — un instrument de mémoire qui sonne toujours au mauvais moment, rappelant que l’horreur n’est pas un événement, mais une rémanence.


Le retour des morts, ou la mémoire comme malédiction


L’une des forces du premier Black Phone résidait dans son équilibre entre réalisme social et surnaturel discret. La violence des enfants, la brutalité paternelle, le danger du voisin – tout cela relevait d’une Amérique tangible, sale et triste, où le fantastique apparaissait comme la seule échappatoire poétique.


La suite bascule dans un registre plus frontalement spectral. Finney, hanté par les voix de ceux qui lui ont parlé à travers le téléphone, mais qu'il ne souhaite pas secourir, est désormais prisonnier de ses souvenirs ; le passé ne l’appelle plus, il l’engloutit. Les morts reviennent, littéralement : non plus des présences fantomatiques mais des figures corporelles, des apparitions nettes, presque démoniaques.

Derrickson semble ici vouloir transformer la communication de l’au-delà en invasion du réel. Mais à trop vouloir donner corps à l’invisible, le film perd une part de son mystère.


Là où le premier Black Phone jouait sur le non-dit – les voix murmurées, les ombres entrevues, la temporalité suspendue du huis clos –, la suite choisit la saturation : effets visuels accentués, visions oniriques explicites, dialogues surnaturels détaillés. Ce glissement du minimalisme au baroque donne au film une autre texture, plus spectaculaire mais moins troublante.


Le Grabber démasqué ? La peur apprivoisée


Impossible de parler de The Black Phone 2 sans évoquer Ethan Hawke, dont le Grabber, dans le premier film, s’était imposé comme l’une des figures horrifiques les plus marquantes des années 2020.

Masqué, ambigu, presque enfantin dans sa monstruosité, il incarnait un mal à la fois banal et mythologique. Dans la suite, son retour est annoncé comme un événement – mais la mise en scène le traite davantage comme un souvenir que comme une menace.

La peur qu’il inspirait est désormais contaminée par la nostalgie du spectateur.


Le film le sait, et c’est peut-être son geste le plus réflexif : The Black Phone 2 parle aussi de la mémoire du premier film, de la manière dont l’horreur se transforme en mythe. Le Grabber devient un fantôme du cinéma lui-même, comme si Derrickson filmait l’ombre de son propre succès.

Mais cette mise à distance se retourne contre le récit : le Grabber, moins incarné, perd de sa puissance. Il devient image plus que corps, idée plus que présence.


Certains y verront une audace – celle d’un réalisateur refusant de se répéter –, d’autres une trahison : à vouloir sublimer son monstre, le film l’affadit.


Une esthétique de la répétition contrariée


Le style de Derrickson, toujours habité par un classicisme américain teinté de catholicisme noir, s’exprime ici avec un soin certain : mouvements de caméra fluides, contraste marqué entre la blancheur des paysages et la noirceur des visions, usage du hors-champ sonore.

Mais l’ensemble paraît parfois moins maîtrisé que dans le premier film.

Là où The Black Phone tirait sa force d’une économie visuelle – trois décors, quelques objets, des lumières brutes –, The Black Phone 2 accumule : sous-intrigues, flashbacks, hallucinations. L’image se complexifie sans toujours se clarifier.


Cette inflation narrative, typique des suites hollywoodiennes, trahit une hésitation : faut-il approfondir ou amplifier ?

Le film tente de faire les deux, et finit par osciller entre mélodrame du trauma et grand spectacle horrifique.


Pourtant, certaines séquences rappellent la précision du premier : notamment celle, saisissante, où Finney retrouve la cabine noire enfouie dans la neige. Le téléphone sonne dans un paysage vide – symbole d’un passé qui ne cesse d’appeler. Ce moment, presque muet, dit plus que les effets numériques qui l’entourent : la peur naît de l’attente, pas du surgissement.


La tentation du deuil


Au fond, The Black Phone 2 n’est pas tant un film d’horreur qu’un film sur le deuil – celui des morts, mais aussi celui du premier film.

Le récit s’ouvre et se clôt sur le même constat : la communication avec l’au-delà est moins un don qu’une malédiction.

L’enfant rescapé du premier volet doit maintenant vivre avec ce qu’il a entendu ; la mémoire devient sa nouvelle prison.

Derrickson filme cette culpabilité avec sincérité : on sent, derrière les maladresses de la mise en scène, un désir de cohérence émotionnelle.


Là où beaucoup de suites d’horreur s’abandonnent à la surenchère, The Black Phone 2 conserve un certain sérieux moral : pas de cynisme, pas d’humour de connivence, mais un regard presque mélancolique sur la transmission de la peur.

Dans sa meilleure partie, le film rejoint les préoccupations de Doctor Sleep (Mike Flanagan, 2019) : comment survivre à l’horreur sans la reproduire ? comment vivre après l’exceptionnel ?


Un cinéma de la survivance


Si The Black Phone 2 déçoit par sa mécanique, il intéresse par sa position : film de survivant, réalisé par un cinéaste qui, lui aussi, revient de ses propres fantômes (Derrickson avait quitté Doctor Strange 2 pour “différences créatives” et s’est replié sur l’horreur intime).

Ce retour à son univers n’est pas seulement commercial : il s’agit aussi d’une quête d’intégrité.

Le problème, c’est que le système Blumhouse – efficace mais standardisé – digère cette singularité. Là où Derrickson, dans le premier, sculptait le vide et la peur à mains nues, la suite semble calibrée pour la consommation rapide : jump scares plus nombreux, climax plus long, dialogues plus explicatifs.


Pourtant, derrière la machine, le cinéaste persiste : il continue de croire à la valeur du symbole, à la matérialité des objets, au poids de la foi et du doute. Le téléphone noir n’est pas seulement un artefact, mais un vestige de cinéma : un appareil d’enregistrement des voix, un lien entre deux mondes – celui des vivants et celui des spectateurs.


Une famille hantée : la peur comme héritage


Dès ses premières minutes, The Black Phone 2 s’impose comme un drame familial avant d’être un film d’horreur. Finney, rescapé du Grabber, n’est plus seulement hanté par les voix des morts : il reproduit, sans le savoir, les mécanismes de son père (violence contre les autres vs violence contre ses enfants/fumette vs alcool).

Le père, autrefois alcoolique et violent, demeure présent mais effacé, presque spectral : il ne frappe plus, il ne boit plus depuis trois ans, il regarde ailleurs. Cette passivité – ce refus de voir – est la forme moderne de la violence.

La peur s’est déplacée : elle n’est plus criée, elle est tue.


La mère, absente physiquement mais omniprésente dans les souvenirs de la fille (et dans ce volet), représente la trace du spirituel dans un monde devenu muet. Ses murmures, ses visions la relient au motif du téléphone noir — cette idée que l’amour et la mort peuvent encore se parler à travers un fil invisible (comme le révèlera le dernier coup de téléphone reçu mais celui-ci à Gwen qui sera la seule à entendre la sonnerie).

Chez Derrickson, les figures parentales ne sont jamais simplement des personnages : elles incarnent les manières contradictoires d’affronter la peur — la nier, la transmettre, ou la sublimer.


Le frère et la sœur : l’amour comme résistance, la colère comme contagion


L’un des moments les plus forts du film survient presque à la fin : un pétage de plomb de Gwen contre Finney ... La sœur protectrice devient la sœur révélatrice !

Lui, enfermé dans une spirale de violence et d’autodestruction, s’enfonce dans la drogue comme son père s’enfonçait dans l’alcool. Elle, lucide et furieuse, lui jette au visage cette vérité déchirante.

Cette scène, d’une justesse émotionnelle rare, agit comme un miroir : le véritable monstre n’est plus le Grabber, mais la reproduction du mal et l'auto destruction qu'il s'infligent.


Derrickson filme cette confortation à la réalité sans effets, presque en silence. La colère de Gwen devient une lumière morale : elle refuse de laisser son frère devenir ce qu’il déteste.

Leur relation, déjà centrale dans le premier film, prend ici une dimension tragique. Gwen n’est plus la sœur prophétique mais la conscience lucide du film — celle qui voit que la peur, mal digérée, engendre la même violence qu’on croit fuir. La sœur reprend le dessus ...


Dans cette scène, The Black Phone 2 se révèle : c’est un film sur la contamination du mal, sur la manière dont les victimes finissent par ressembler à leurs bourreaux.


Mando, le miroir bienveillant


Autre moment-clé : la rencontre entre Finney et Mando, un ancien délinquant devenu surveillant du camp puis l'a racheté pour se racheter et retrouver les trois enfants morts.

La conversation entre les deux hommes où il explique à Finney que sa violence vient de la peur, de son incapacité à la dire autrement (ce que Finney finira par révéler quasiment dans un murmure).


Le dialogue, simple et brut, déplace tout le film : il fait du camp un espace de confession, un purgatoire pour enfants blessés. Mando y apparaît comme un double possible du Grabber — une figure de l’adulte brisé, mais qui a choisi un autre chemin.

Sa phrase — “Je vois beaucoup d’enfants comme toi ici” — agit comme une condamnation silencieuse : ce ne sont plus les monstres qui manquent, ce sont les pères.


Ce tête-à-tête, filmé transforme le récit d’horreur en récit d’apprentissage, où la rédemption passe par la parole.


Le Grabber : l’enfer de glace


Ethan Hawke revient, mais son personnage n’a plus rien du tueur flamboyant du premier film. Ici, le Grabber est une ombre, un souvenir, une voix qui hante les rêves (et maltraite) de Gwen.

Sa phrase, répétée dans un cauchemar d’une puissance métaphorique rare, résume tout le geste du film :


“L’enfer n’est pas les flammes, mais la glace.”

Cette réplique, d’apparence ésotérique, condense le basculement de Derrickson.

Dans le premier film, l’enfer était chaud, concret, physique : une cave, un corps, une suffocation.

Dans la suite, il est gelé, immobile, mental.

Le feu, c’était la peur immédiate ; la glace, c’est la peur qui s’installe, qui fige.


Le Grabber devient le symbole du trauma qui se cristallise : il ne brûle plus, il anesthésie.

C’est ce que vit Finney, incapable de pleurer ou d’aimer sans violence.

Et quand le tueur déclare que “la glace est pire que le feu”, il parle de cette immobilité du cœur, de ce moment où la douleur ne fait plus mal mais gèle tout autour.


Cette phrase, loin d’être un effet de style, est la clé du film (ainsi que son aveux qu'après l'avoir poussé a tuer son frère, l'être qu'il chérissait le plus, il se vengera en lui rendant la pareille : en tuant sa sœur) : elle dit que l’horreur ne finit pas avec la mort du monstre, mais commence après — quand il n’y a plus rien à ressentir.


Une horreur psychologique et métaphysique


À travers ces figures — le père aveugle, la sœur combative, le mentor repenti, le monstre spectral — Derrickson tisse un récit sur la transmission du mal et la possibilité de le désarmer.

Chaque personnage incarne une manière différente de faire face à la peur :


  • Le père, la nier ;
  • Finney, la reproduire ;
  • Gwen, la combattre ;
  • Mando, la comprendre ;
  • Le Grabber, la geler.

Cette construction quasi allégorique donne au film une dimension spirituelle inattendue. The Black Phone 2 ne cherche plus à terrifier, mais à comprendre d’où vient la terreur.

Sous la neige et les cris, c’est un film sur le silence : celui des pères qui ne parlent pas, des fils qui se perdent, des filles qui refusent d’abandonner.


Un jeu d’acteurs juvénile d’une étonnante maturité


L’autre grande réussite du film tient à son casting jeune.

  • Mason Thames (Finney) livre une performance d’une intensité remarquable : son visage porte à la fois la rage et la vulnérabilité, la fatigue du survivant et la violence du déni.
  • Madeleine McGraw (Gwen) confirme tout le bien qu’on pensait d’elle : elle incarne à la perfection cette lucidité enfantine, entre la foi et la peur, entre le rêve et la révolte.

On notera toutefois une légère réserve du côté d’Ernesto, incarné par Noah Jupe : bien que juste et sincère, son jeu reste un peu en retrait, parfois hésitant.

Mais cette maladresse colle au personnage — adolescent perdu dans un monde de visions qui le dépassent, témoin aimant mais désarmé.


Comparaison entre le 1 & le 2


Similitudes

  • Le vecteur de peur reste identique : le téléphone noir, outil de communication entre vivants et morts, constitue le motif central.
  • Le retour d’Ethan Hawke dans le rôle du Grabber permet un fil continu avec le premier film.
  • Le champ thématique du traumatisme, de la culpabilité, de la survie est encore au cœur de l’intrigue : le personnage de Finney (Mason Thames) porte encore les séquelles de l’enlèvement.
  • Une mise en scène travaillée, une atmosphère rétro 80s marquée (grain Super 8, style visuel « found footage », lumière froide) que les critiques remarquent.

Différences


  • L’échelle et le décor : Là où le premier film se déroulait majoritairement en huis-clos, dans une cave sous-terrain, la suite s’ouvre sur un décor glacial, extérieur, et un camp isolé. Cette ouverture spatiale change la nature de la peur : de l’intime au panoramique.
  • Le ton et le registre : Le premier volet misait davantage sur l’angoisse, le suspense, la menace latente. Dans la suite, l’horreur devient plus directe, plus graphique, plus orientée « slasher/surnaturel ».
  • Le traitement du surnaturel : Si le film initial avait une pincée de paranormal, la suite déploie pleinement l’idée de spectres, de rêves, de visions visionnaires – ce qui modifie la logique du récit.
  • Le rythme et la narration : Plusieurs critiques relèvent que la suite s’alourdit : explications plus abondantes, personnages secondaires plus nombreux mais moins investis, moins de tension pure.

Améliorations et régressions


Ce qui fonctionne


  • Le cadrage visuel et l’ambiance hivernale sont des atouts. Le film tire profit du décor enneigé, du silence, de l’isolation pour renouveler le moment « film d’horreur ».
  • Le passage du protagoniste de victime à survivant porteur de trauma ajoute de la densité. On sent un désir de creuser les séquelles plutôt que de repartir à zéro.
  • Le personnage féminin (la sœur Gwen) prend davantage de place, ce qui diversifie l’enjeu psychologique.

Ce qui pêche


  • Le ton plus « grand spectacle » fait perdre une partie de la finesse et de la claustrophobie terrifiante du premier film.
  • Le scénario est perçu comme plus chargé, parfois moins cohérent : personnages secondaires peu exploités, logique du surnaturel discutée, moments d’exposition qui ralentissent.
  • Le Grabber, bien que toujours incarné par Hawke, reste moins efficace dans le rôle qu’il avait dans le premier film selon certains critiques : là où il terrifiait dans sa simple présence, ici il est parfois relégué à une apparition tardive ou caricaturale.

Le premier film, par son minimalisme, invitait à une peur pure ; le second, par sa dilatation, explore la mémoire de cette peur.

On passe ainsi du réel vers l’imaginaire, de la claustrophobie à la mythologie.

Ce mouvement est cohérent sur le plan thématique, mais inégal sur le plan sensoriel : la peur, ici, s’intellectualise.


Gwen et Judy Warren : la foi, la peur et le don


Dans The Black Phone 2, Gwen apparaît comme la véritable héroïne morale (et Mando à l'affût). Son don médiumnique, déjà présent dans le premier film, prend ici une dimension plus intime : elle ne le vit plus comme un pouvoir, mais comme une malédiction (comme elle le révèle à sa mère lors d'une ultime question posée lors du dernier coup de fil de l'au-delà).

Son rapport au divin, ambivalent, rappelle directement celui de Judy Warren — la fille d’Ed et Lorraine Warren dans l'univers The Conjuring et plus particulièrement le dernier volet dans lequel ses parents lui passe le relai pour perpétuer leur héritage


Toutes deux partagent une peur du don, cette double malédiction de voir ce que les autres ne veulent pas voir. Gwen et Judy, enfants à la frontière du visible, craignent leur propre clairvoyance.

Mais, là où Judy est protégée par la foi de ses parents (puisqu'ils partagent la même chose), Gwen est (presque) seule. Elle doit choisir d’assumer son don sans repère spirituel — un écho direct à la solitude tragique de l’Amérique post-religieuse que filme Derrickson.


Le parallèle s’étend aussi à leurs figures masculines :


  • Ernesto, l'ami de Gwen, tente de la soutenir. Sa bienveillance ne suffit pas à la comprendre.
  • Tony, compagnon futur de Judy Warren, partage la même posture : celle du jeune homme rationnel, aimant mais impuissant face à la foi et à la peur.

Les deux couples incarnent, chacun à leur manière, la fracture entre le monde visible et invisible. Et c’est bien cette tension qui, chez Derrickson, devient la matière même de l’horreur : la coexistence impossible entre la peur et la foi.


Verdict : la résonance affaiblie du téléphone noir


Le film The Black Phone 2 marque une tentative ambitieuse de donner à la saga un second souffle, en élargissant son univers et en osant modifier sa formule. Il a le mérite de proposer un décor nouveau, une ambiance renouvelée, des moments visuellement forts, et un volet psychologique qui cherche à évoluer. Cela dit, ce changement de braquet se paie : la radicalisation du genre – plus de surnaturel, plus de gore, plus d’explications – amoindrit parfois l’effroi originel du premier film.


Pour le spectateur amateur du premier film, ce deuxième épisode offre un spectacle plus grand mais moins intime. On y trouve des qualités avérées : direction artistique soignée, volonté de creuser les conséquences du trauma, réalisation inspirée. Mais on y ressent aussi un glissement vers le « film de série » de franchise, où la nouveauté se paie d’un affaiblissement – au moins partiel – de la tension et de l’inventivité.


À mi-chemin entre hommage assumé et continuation inégale, The Black Phone 2 peut satisfaire mais ne convainc pas totalement à la hauteur de ses ambitions. Un bilan dans l’ensemble positif, mais nuancé : il sonne certes, mais pas avec la même voix que son prédécesseur.


The Black Phone 2 n’est pas une trahison du premier film ; c’est son écho. Mais comme tout écho, il perd un peu de netteté, un peu de force.

Derrickson signe une œuvre sincère mais dispersée, plus belle qu’efficace, plus mélancolique que terrifiante.

La neige a remplacé le béton, le souvenir a remplacé la peur ; le téléphone sonne toujours, mais la voix à l’autre bout semble lointaine.


Reste la sensation d’un cinéma hanté par lui-même, qui cherche à dialoguer avec ses propres fantômes. Et si ce téléphone noir continue de résonner, c’est peut-être parce qu’il appelle encore quelque chose que le cinéma d’horreur contemporain a presque oublié : le silence.


En apparence, The Black Phone 2 est une suite d’horreur. En profondeur, c’est un film sur la peur héritée, sur le cycle de la violence, sur la difficulté de dire ce que l’on ressent.

Sa beauté fragile tient à sa sincérité : Derrickson ne cherche pas le frisson, mais la vérité émotionnelle.


Le téléphone noir, symbole de la communication avec les morts, devient ici celui de la communication impossible entre les vivants.

Le père fait semblant de ne rien voir, la sœur crie, le frère se tait — et la neige recouvre tout.


La phrase du Grabber résonne alors comme une mise en garde : “L’enfer n’est pas les flammes, mais la glace.”

C’est-à-dire : l’enfer, ce n’est pas la souffrance, c’est l’indifférence. Ce n’est pas la douleur, c’est le gel du sentiment.

Derrickson signe là un film imparfait mais profondément humain, où le mal ne se combat plus à coups de poing, mais à coups de mots.


Ma critique du premier volet : https://www.senscritique.com/film/black_phone/critique/332141686
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