A la réalisation depuis plus de vingt-cinq ans, Martin Koolhoven est un cinéaste néerlandais déjà confirmé avec dix films à son actif (en plus d’une série TV et de quelques téléfilms). Ses œuvres ont été sélectionnées dans des festivals prestigieux (la Berlinale, Rome, Londres, etc.) et les Pays-Bas l’honorent régulièrement lors du Netherlands Film Festival (Sept films présentés, deux prix obtenus, huit nominations). Mais aucun de ces films n’avait jusque-là trouvé le chemin des salles hexagonales et encore moins trouvé un écho à l’international. L’homme est discret, son cinéma est indiscernable, tout juste sait-on qu’il est régulièrement amené à traiter de l’Histoire de son pays natal. Pour son onzième film, il s’est lancé dans un projet titanesque qui a duré sept ans (trois ans et demi d’écriture) avec l’aide d’une coproduction européenne (Pays-Bas, Allemagne, Belgique, France, Suisse) qui a monté ce film doté d’un casting international. Si la quasi-totalité du casting est anglo-saxonne, Martin Koolhoven a néanmoins tenu à conserver une équipe technique entièrement néerlandaise, quand bien même le tournage a eu lieu à travers toute l’Europe (Autriche, Hongrie, Espagne, Allemagne). A ce sujet, il faut savoir que Brimstone est le film le plus coûteux des Pays-Bas, après Black Book de Paul Verhoeven. Des moyens plus conséquents donc qui ont permis au réalisateur et à son film de s’enorgueillir d’une nouvelle visibilité qui l’a amené jusqu’à la compétition officielle de la Mostra de Venise en septembre 2016. Si Martin Koolhoven a déjà sa réputation toute faite aux Pays-Bas, il reste méconnu dans le reste du monde. Mais le bonhomme fait déjà preuve d’une belle présomption et d’un style qu’il estime singulier, comme en témoigne l’ouverture de son film par l’encart « Koolhoven’s Brimstone ». Une indication claire sur la mégalomanie saisissante du réalisateur qui invoque déjà son nom comme une marque au style inédit. C’est pourtant bien dans la surenchère de références que Martin Koolhoven se vautre, ne faisant de Brimstone qu’une œuvre hybride audacieuse et intéressante mais pesante et vide de toute personnalité, entre La Nuit du Chasseur et le cinéma fiévreux de Tarantino.


Pourtant en amorçant son récit par une narration non chronologique en quatre chapitres déstructurés, Martin Koolhoven injecte une dose d’audace bienvenue qui donne toute son essence au récit. Car une construction linéaire aurait été un fardeau pour le film qui n’aurait pu se reposer que sur son dénouement aux allures de duel final. Ici, Martin Koolhoven a l’ingéniosité de laisser planer un voile de mystère et de révéler ses informations au compte-gouttes. Ce qui laisse l’opportunité à l’intrigue de surprendre relativement souvent son spectateur et permet aux personnages de se révéler plus complexes qu’il n’y paraît. Si les scènes d’horreur graphiques marquent les esprits, la violence de Brimstone est avant tout psychologique. Martin Koolhoven soigne le calvaire de son personnage féminin à plusieurs âges de sa vie, elle qui ne cesse d’être traquée par un énigmatique prêcheur, dévoré par sa croyance et ses pulsions. La fureur qui anime les hommes est bel et bien représentée par la relation malsaine entre Dakota Fanning et son bourreau diabolique, et n’est jamais affichée à l’écran, laissant le spectateur imaginer les pires sévices. Le western est l’apanage de la violence et du machisme et Brimstone en montre clairement l’impact viscéral sur cette femme mutique dont la cavale est vaine puisqu’elle est constamment rattrapée par son tourmenteur, obligée de devenir une esclave sexuelle ou de se confiner à sa condition de bonne femme. Son mutisme empêche au premier abord de comprendre sa fuite et ses intentions mais la construction du récit amène les réponses qu’il faut aux moments phares. Dès lors qu’un personnage féminin amène autant de complexité et de force, il n’est pas étonnant d’attribuer l’étiquette de « film féministe ». Ce ne serait pas faux mais réducteur face à la charge anti-religion et à la primitivité des hommes dans le Grand Ouest dont le cinéaste fait preuve. En ce sens, Brimstone dépoussière un genre et lui apporte une radicalité bienvenue, confirmant que les cinéastes européens ont tout aussi bien saisi l’essence du western que leurs homologues américains.



Brimstone renoue effectivement avec les grandes heures du western crépusculaire mais s’enlise dans un récit interminable et excessif.



Mais conscient de son talent et de l’hommage qu’il semble vouloir rendre aux films qui ont construit sa culture, Martin Koolhoven se perd dans des considérations outrancières, entre l’intitulé biblique pompeux des chapitres (Apocalypse, Exode, Genèse, Châtiment) et la représentation surlignée de symboles de l’Ancien Testament. L’hypothèse religieuse sera bien présente, plus appuyée que jamais et dont Martin Koolhoven se fait le Créateur, confirmant la mégalomanie du bonhomme. Il ira jusqu’à tomber dans l’abus en représentant Kit Harrington doté d’ailes d’anges dans une plan en contre-lumière. La mise en scène se révèle d’une lourdeur dans ces moments décisifs, contrebalançant paradoxalement avec la juste mesure dans les moments plus contemplatifs. A vouloir trop bien faire, Martin Koolhoven accentue à l’excès le lyrisme de son récit et appuie l’émotion alors qu’il aurait fallu laisser le charme opérer par lui-même. Les violences à outrance, les scènes étirées de plans fixes sur les visages débordants d’émotions rendent vite agaçant le film aux yeux du spectateur, lassé d’être autant tenu par la main alors que le calvaire vécu par le personnage principal est déjà suffisamment insoutenable et bouleversant. Côté casting, Dakota Fanning et Carice Van Houten magnifient heureusement le film par leur grâce et leur aisance à créer des personnages féminins forts. En revanche, Kit Harrington est trop anecdotique pour qu’on s’y attarde et Guy Pearce s’embourbe dans une caricature de prêcheur pédophile loin de toute la subtilité de Robert Mitchum dans La Nuit du Chasseur. D’une durée conséquente (2h25), Brimstone a aussi le défaut d’étirer son récit et de le rendre interminable. Il en devient presque comique de voir à quel point il est facile pour Guy Pearce de retrouver son objet de désir à travers tout l’Ouest américain. C’est d’autant plus frustrant que le film offre de grands moments qui s’opposent à des moments inconfortables dont un final boursouflé dont on ne demande qu’à en voir la fin. A l’issue de la projection, des interrogations nous étranglent et l’on se demande si un second visionnage ne rendrait pas la construction non chronologique incohérente (lorsque Dakota Fanning (re)voit pour la première fois Guy Pearce). Dès lors, il y a cet étrange sentiment qui nous anime et nous fait dire que le film a beau être réussi dans d’intenses séquences, il est raté lorsqu’il veut assumer son jusqu’au-boutisme. Brimstone n’est pas un mauvais film, il est une claque qui ne laissera pas insensible mais dont la finalité laisse un sentiment d’inachevé frustrant face à un western comme on n’en a jamais vu.


Difficile donc de ne pas avoir d’estime pour un tel projet dont l’existence repose entièrement sur les épaules d’un néerlandais inconnu au bataillon qui s’est battu pour monter son projet. Brimstone avait toutes les cartes en main pour être le fer de lance d’un genre atypique (que Koolhoven avait déjà surnommé le « Dutch Western »). Le film renoue effectivement avec les grandes heures du western spaghetti et crépusculaire mais s’enlise dans un récit interminable, un casting qui va de la grâce (puissante Dakota Fanning) au cabotinage (caricature lourdingue de Guy Pierce) et une surcharge de références boursouflées qui empêchent d’éprouver un véritable plaisir. N’est pas Leone, Laughton ou Tarantino qui veut.


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le 16 mars 2017

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Kévin List

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