Après Batman VS Superman, d'autres héros se foutent sur la gueule : ceux de Marvel. En fine bête vulgaire qu'elle est, la maison de Stan Lee dégomme tout au centuple. Résultat ? Rien.


L'univers Marvel est un monstre. Une hydre, serait-on tentés de dire, comme un clin d’œil à l'organisation némésis du film, Hydra. Avec autant de films et de super héros dans sa besace, la maison mère d'une frange des comics US fait pousser des têtes, jusqu'à la lie, les dédouble en série lorsqu'on les sectionne. Rien ne semble pouvoir arrêter l'emprise mercantile de son empire. Pas même ses héros. Surtout pas ses héros, serons-nous tentés de rectifier. A posséder dans ses rangs autant de figures et de dénouements rocambolesques, à en multiplier les menaces, de notre monde comme de ceux interstellaires et / ou parallèles, Marvel est prisonnier d'une camisole qui se resserre à chacun de ses mouvements. Plus le studio se débat, plus les contraintes s'accumulent et restreignent sa liberté d'action - par extension, sa liberté de ton.


Le recul progressif de Joss Whedon et de son idée d'un Marvel Opéra tangible n'arrange rien. Sans avoir réinventé la roue, sans en avoir fait trembler les fondations, l'auteur des maudits Firefly et Dollhouse avait au moins eu ce mérite de se jouer, comme c'était courant dans le cinéma d'après guerre, des contraintes des producteurs et des règles de la bien-séance par quelques coups d'éclats de second degré. Des double sens qui permettaient au moins de sauver quelques éléments du navire au milieu du fracas des vagues numériques et des tempêtes de CGI que Whedon bravait pour le bien du plus grand nombre. Le bien commun, il en est justement question dans un Captain America : Civil War qui se la joue RH, avec affrontements internes dans les mêmes joies de pains dans la gueule et autres super pouvoirs comme arguments de discussion. Qu'elles sont loin, les réunions anti-harcèlement du lundi matin au mignon siège du S.H.I.E.L.D.


Il a quatre (vingts) laquais


Vanité, tout est vanité. Un concept tout simple, et qui pourtant fait office d’essence absolue de ce Captain America : Civil War. Une vanité teintée d’hypocrisie avec ça. Les frères Russo, réalisateurs de l'opus, nous dépeignent ici le passage à l’âge de raison. Ce moment pour les Avengers de prendre leur responsabilité. Parce que, voyez-vous, aussi brillants soient-ils, pas un seul membre de l’équipe de supers n’a pu imaginer une seule seconde que désintégrer un pays entier, même fictif (la Sokovie) pourrait mener à des dommages collatéraux. Mince alors.


Dans tous les Marvel, du moins tous ceux portés au cinéma qui suivent la trame entamée par le MCU, le Marvel Cinematic Universe, la liberté était au centre des propos et des combats. Comme toujours, les héros chéris par le public de notre monde le sont beaucoup moins par ceux du leur, puisque témoins des gigantesques destructions mises en œuvre par... les sauvetages grandiloquents. Le nez dans leurs gravas, les voilà reflétant leur idéal face à un autre : celui de la sécurité. Un thème à l'actualité brûlante. Confrontés à leur condition et aux conséquences de leurs actes, les frères Russo nous rejoueraient-ils la formidable symphonie politico-psychologique du Watchmen de Zack Snyder ?


Que dalle. Le milliardaire industriel prend le par(t)i sécuritaire, tandis que la fibre patriotique opte pour le sacro-saint libre arbitre, à comprendre dans le sens que lui est donné le premier amendement de la Constitution des États-Unis d'Amérique. Derrière eux, les clans se forment comme un enfant place au hasard, en deux tas distincts, les jouets dont il dispose dans sa boîte. En grandissant, on l'a dit plus haut, il commence à en avoir un sacré paquet. Puisque la symétrie est le beau du sans-goût, les figurines d'acier sont placés en rang d'oignon, à un nombre égal de chaque côté. On aurait pu appeler ça un échiquier, si le jeu auquel Marvel jouait avait un semblant de sens logique ou intellectuel. Vanité, vous dit-on.


Amusant, de voir les héros Marvel s’écharper sur la notion de responsabilité alors que leurs actes n’ont absolument aucune conséquence depuis le tout premier film, Iron Man, en 2008. 13 films, et toujours pas l’ombre d’un soupçon de changement dans le grand ordre des choses marvellien. Le combat fratricide entre Tony Stark et Steve Rogers, motivé par la signature, ou pas, d’un accord les faisant passer sous le joug gouvernemental, fait l’effet d’un pétard mouillé. “Mais … on est toujours amis pas vrai ?” lance Black Widow (Scarlet Johansson) à Hawk Eye (Jeremy Reiner) pendant la scène des coups de poing qui fusent et des nez qui ne saignent pas. Une question rhétorique, qui replace dans son contexte l’intégralité de toute la proposition de ce film. Marvel brasse du vent pour en faire une bourrasque, et rate systématiquement le coche en oubliant par la même de confier la caméra à un opérateur compétent. Loin d’être divertissantes, les scènes d’action sont brouillonnes comme jamais, et la surabondance de plans américains (plans ¾, très rapprochés) n’aide pas à y voir plus clair.


He said "Captain", I said "what ?"


Pour ne rien gâcher, Civil War est long. Affreusement long. Pensant devoir justifier son intellectualisme de comptoir en multipliant les discours politiciens, Captain America en oublie d’être un divertissement de qualité - ce qu’était Le Soldat de l’Hiver - pour devenir un Avengers bis. Difficile de sortir de la séance en ayant l’impression d’avoir vu un épisode stand-alone. Tout le casting des Avengers est là (à deux exceptions près), et Chris Evans est loin d’être l’acteur qui monopolise le plus l’image. Les puristes argueront que c’est justement dans cette volonté de réaliser des films de plus en plus miscibles que le MCU existe. Nous leur répondrons que pas moins de 13 nouveaux films sont prévus d’ici l’horizon 2020, et que si, effectivement, tous deviennent des ersatz de la structure Avengers, l’action Doliprane va faire un bond sans précédent.


Certes, “c’est un film de super-héros”, “on sait ce qu’on vient y chercher”. Des réponses un peu toutes faites, énoncées de façon péremptoires par des fans que l'idolâtrie aveugle (et il n’y a pas de mal à ça), mais qui demeurent incompatibles avec Civil War, qui en plus de reprendre à son compte des formules râpées jusqu’à la moelle, ne propose absolument rien d’intéressant. Une scène, et bien une seule, laisse entrevoir une fulgurance, et des conséquences (enfin !) pour nos personnages. Un moment de haine, que la mise en scène souligne correctement, et qui donne lieu à un combat fratricide quasiment aussi réussi que l’affrontement entre Obi Wan et Anakin dans Star Wars III : La Revanche des Siths. Cinq petites minutes où nos poings se serrent et l’estomac se contracte … puis c’est tout. Expédiée comme toutes les autres, cette scène rejoint le grand cimetière Marvel, et encore une fois les conséquences que l’on pourrait en attendre ne sont pas au rendez-vous. Sachez-le, il suffit d’un joli papier à lettre, d’une plume bien taillée et d’un livreur FedEx pour résoudre le plus retors des différends politiques.


Civil War possède un contenu pauvre affublé d'un traitement pauvre. La faute aux excuses énoncées plus haut ? Les accepter, c'est perdre la bataille, en un sens. Doit-on niveler automatiquement par le bas les blockbusters, désormais genre à part entière dans le cinéma ? Bien sûr que non. D'autres ont réussi à allier gros moyens et action à contexte (les reboots de X-Men), parodie grasse (Deadpool) ou même simple comédie familiale (Les gardiens de la galaxie) avec réussite. Même le reboot des 4 fantastiques, s'il pêche en de nombreux points, tentait une approche différente du blockbuster. Ici, au grand dam des complotistes d'Hollywood et autres chasseurs de diktats cachés dans le soft power états-unien, c'est le vide, l'absence qui caractérise Avengers 3 Captain America : Civil War. Tellement que même les polémistes ne trouveront rien à se mettre sous la dent.


On compacte tous nos propos et on ressort de 2h30 de Civil War usés, lavés, aigres et blasés. L’usine à rêves Marvel s’étiole méchamment, et à défaut d’un revirement inattendu dans leur manière de procéder, le public (celui qui n’est pas conquis d’avance) ne sera plus client. Car même dans la tâche toute simple d’être un divertissement de qualité, Captain America : Civil War échoue. Dire que c’est précisément les réalisateurs de ce film qui signeront les deux derniers épisodes du MCU (Infinity War 1 & 2), et on n’est pas bien rassurés.


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le 14 avr. 2016

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