Sur les épaules du grand Jack Nicholson repose la grande farce de toute une vie : la justice. Une jungle de non-droit, Chinatown, est l'allégorie du grand-guignol qui règne dans cette vaste scène de théâtre qu'est le monde. Ville théâtre des plus grandes affaires de moeurs et, conséquemment, de meurtres, elle est l'archétype du bourbier que tout détective de la trempe de Jake Gittes cherche à fuir. Mais le passé rattrape toujours un homme, et alors qu'il croyait avoir tiré un trait sur les ennuis d'une carrière mal entamée dans ce trou à rats fratricides, il se retrouve chassé au galop par le naturel. En pleine poire, qu'il lui revient le droit de jouir de son statut de détective embarrassé par une affaire de meurtre qui ne fleure pas bon la prospérité. « Chinatown » résonne en écho dans toutes les bouches, et on se fait de ce mot toute une construction mentale cauchemardesque. Et pourtant, le vivier à vices a envahi Los Angeles et ses alentours, alors que Jack et ses associés, mais aussi ses rivaux, pensaient s'en être démis. Que nenni, et Polanski ménage nos attentes d'inspecteurs en herbe, à l'affut de tout indice cinématographique, de tout détail détectable à l'oeil nu, coincé dans ces portraits en paysage d'une enquête qui piétine. Et piétine... Jusqu'à sa résolution, surprenante, et ô combien révélatrice de ce que j'annonçais au départ.

Tout un programme ! Qui fleure bon les années 30 et la prohibition. Pour peu - et une fois n'est pas coutume, je ferai référence à un jeu vidéo - on se croirait dans Mafia ! Les chapeaux Borsalino, la cigarette au bec pour expirer des volutes de fumées et styliser chaque réplique de ce diable de Jack, les voitures aux courbes racées et inimitables... De beaux souvenirs ludiques transposés en négatif, cette fois dans le camp des « gentils », ceux qui prennent part à la « masquerade infernale » (cherchez le clin d'oeil) du bon côté de la scène : côté cour. Mais c'est sans compter sur la fatalité, qui abat ses cartes une à une, sans qu'aucun actant passé ne soit affecté, et devienne dès lors patient d'un destin qu'il ne maîtrise pas. Ce fut le cas pour le premier homme assassiné, ce sera le cas pour... Je n'en dirai pas plus, et laisserai le champ libre à vos investigations, pour que vous aussi vous appreniez la vérité sur ce que l'on nomme un succès cinématographique.
Adrast
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le 14 déc. 2010

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