Passionné par le cinéma de Ryusuke Hamaguchi, dont j'avais mis en forme 3 critiques (Asako, Passion & Drive My Car) ici sur Sens Critique, il était donc tout naturel que je réédite l'expérience avec ce nouveau film. Omnibus en 3 contes récompensé lors de l'édition 2021 de la célèbre Berlinale d'un Ours d'Argent, ce film n'est pas un film "post-Drive My Car" mais un film réalisé avant et pendant la production de ce dernier.


Confrontation des sentiments sur fond triangulaire, confrontation des fantasmes retenues et confrontation des regrets d'une ancienne vie.

Œuvre triple, ces contes abordent le non-dit à travers la parole, pose en son sein la remise en question interne de l'individu et les retrouvailles avec soi au travers d'autrui. Confessions indirectes pour mieux avancer, hasards de la vies révélateurs, le quasi rien du film bosucule les préétablis sociétaux pour enfin se rapeller soi et se retrouver en l'autre.


Eléments phares de la filmogaphie du cinéaste japonnais, les personnages sont encore une fois exceptionnelement écrits, pensés et interprétés. On dépasse le simple cadre du personnage de ficition pour passer le temps d'une séance au stade de véritables personnes réelles avec lesquels on s'atteche irrémédiablement.. On a toujours envie de rester auprès d'eux, de leur parler à cœur ouvert, et d'à notre tour se retrouver soi même.


La sobriété des lieux, voir leur banalité, enferme physiquement les personnages pour mieux les libérés. Tourné avant Drive My Car, le premier court impose très vite cette idée là, ce mouvement là, avec la longue discussion initiale à l'arrière d'une voiture préfigurant au passage l'œuvre qui allait venir pour son metteur en scène. Les 2 autres courts prennent le même chemin, à travers d'autres espaces clos jusqu'à une certaine libération à la fin du 3e et dernier conte. Voiture donc, mais aussi bureaux, office d'un professeur, ou simple logement y sont ici le théâtre de ses échanges sentimentaux et passionnés.


Peut être après tout dû à un certain hasard, l'ordre des courts rend l'expérience de visionnage d'autant plus belle. La "magie" évoqué dans le 1er conte au nom éponyme semble préfigurer thématiquement les questions et réflexions abordés dans le 2ème, quand le 3ème semble être l'acceptation des évènements qui résonne comme aussi quelque part comme un réponse à la fin du 2ème conte. 3e qui semble être ici, si on extrapole encore un peu plus, cette lumière au bout du tunel que l'on atteint enfin, par la rencontre et l'innatendu.


"Magie" commence certes par une séquence digne de ce qui sera fait dans Drive My Car mais oppère ensuite un changement pour retrouver l'énergie et la force de ce que le cinéaste a pu faire avec la discussion centrale de Passion, ironiquement dans le seul conte qui ne convoque aucun acteur de celui-ci.

La mise en scène en fait état de ce retour à ce qui a été dans Passion mais quelque part aussi ce qui a été fait dans certaines séquences de la grande œuvre fleuve Senses (originalement Happy Hour).

Centré sur les tunnels de dialogues fonctionnant comme toujours sur la longueur qui composent la quasi entièrté de ces contes, la mise en scène est pourtant loin d'être oublié. Elle se fait aussi discrète que réussie, qui par de petites astuces, de plans amenés avec un naturel d'une rare pureté, renforce toutes les symboliques et les enjeux intérieurs.


Hamaguchi laisse intégralement place à son casting, en leur laissant convoquer leurs jeux, leurs naturels et leurs compréhensions. Le jeu dans ces contes peu paraître très théâtral, mais me semble t-il bascule le tout dans une intemporalité et universalité aussi douce que profondément touchante. Le tout désservi par un texte magnifiquement écrit, empli de contradictions, de détours, de suggestions et de replis. Le cast, sublimé ensuite par la mise en scène, réussi à donner vie à ses confrontations, à en donner véritablement un rythme, explicitement énnoncé par le personnage de Meiko qui s'en amuse.


Subtilement encadré par la 1ere pièce des Scènes d'enfance de Schuman, ces contes sont d'une poésie aussi douce que frappante. Une suite de questionnement succesives qui finalement sont d'une fluidité remarquable. Fluidité renforcé par le fait, rarissime pour un omnibus/film à sketch, qu'aucun segment ne semble supérieur ou inférieur à un autre, qu'aucun ne dénote jamais, formant un tout qui nous semble indisociable dès le 1er visionnage.


Encore une fois Hamaguchi nous livre une œuvre magnifique que je ne peux qu'encourager à voir, tant ce cinéaste semble maitriser tout ce qu'il réalise, comprenant même qu'il a écrit ailleurs (Les Amants Sacrifiées de Kiyoshi Kurosawa).

Film qui me semble une ode à l'humanité, aux sentiments humains, et à un espoir non défini.

Win-Green
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le 4 mai 2022

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Win-Green

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