Du coq au vain ; ou la trajectoire déclinante du poulet (qui) s’entête.

Tirer sa révérence, en toute élégance, qui plus est à un âge très avancé, est un privilège offert à très peu d’artistes. C'est bien souvent l’épure qui est alors choisie pour mettre en exergue l’essentiel, les points supposément fondamentaux de toute une œuvre. C'est ainsi que le grand Akira Kurosawa conçut son film d’adieu, le très intimiste Madadayo, afin de graver une dernière fois sur la toile les mots-clefs de son récit humaniste. Si le film ne fut pas le plus grand de son auteur, il est incontestablement l’un des plus dignes et des plus sensibles. Un chemin que tente visiblement d’emprunter Clint Eastwood avec Cry Macho, épurant son western jusqu’à l’os afin de mettre en lumière la substantifique moelle d’un cinéma réputé machiste : on y découvre un récit dénué d’enjeux, de frime ou de pose, dans lequel l’amour ou la bienveillance prime jusqu’à la candeur, jusqu’à la niaiserie hélas...


Il y a une vraie beauté, pourtant, à vouloir faire un western qui évolue consciemment à rebours du cinéma commercial US : on troque l’action et le spectaculaire propre au genre, les enjeux dramatiques inhérents aux odyssées rédemptrices, pour déjouer les attentes d’un public formaté par les popcorns movies. En faisant évoluer majoritairement son film au Mexique, Eastwood exprime symboliquement son refus de l’esbroufe hollywoodienne et de la complaisance mercantile, afin que l’on retienne ce qui lui tient véritablement à cœur : la transmission intergénérationnelle, le rapport qui s’établit entre une figure paternelle et un enfant. Il tente alors une déconstruction mythologique semblable à celle d’Unforgiven : le véritable héros n’est pas celui qui donne des coups, ou use de son six-coups, mais plutôt celui qui construit un pays, un foyer, des liens sociaux. Un refus du cliché qui donne sa légitimité au personnage de Rafo, ce dernier n’étant pas le terrible délinquant annoncé mais plutôt un fantôme du passé, un ersatz des gamins des westerns romantiques des années 50 (comme dans Shane bien sûr), ceux-là même qui ouvrirent leurs yeux très grands pour le héros Eastwood notamment. Un Clint Eastwood, en tout cas, qui déclare son amour sincère pour les relations filiales, comme lors de cette scène finale qui cite The Bridges of Madison County et A World Perfect, tout en tentant de raviver les émotions fondatrices des westerns d’antan. Ce qu’il parvient à faire épisodiquement, en faisant apparaître son personnage sur un fond rouge désespérant, avant un combat de coqs, ou au contraire en le faisant disparaître dans des ténèbres foncièrement évocatrices.


Seulement, les bonnes intentions et les fulgurances graphiques ne suffisent pas à faire un film, surtout quand l’écriture est à ce point défaillante : il n’y a pas de réelle consistance dans Cry Macho, que ce soit en matière d’enjeux ou de personnage, pour nous captiver ou nous intéresser pleinement. Le western apaisé voulu par Eastwood se transforme vite en geste vain et anesthésiant, avec cette intrigue relâchée que l’on tente mollement et maladroitement de réveiller (avec cette simili-révélation sur les réelles motivations du père), avec surtout cette démarche introspective qui se résume à une poignée de phrases aussi creuses qu’embarrassantes (être un macho, ce n’est pas bien ; être un gros dur, c’est ridicule...). On pouvait s’attendre à mieux de la part du cinéaste qui a signé le sublime Unforgiven. Au lieu de cela, on désespère devant un film qui retourne continuellement à sa superficialité latente, en empilant les clichés grossiers (les femmes qui ne sont que des "putes" ou des "saintes", les autorités qui sont toutes corrompues, etc.), les moments peu crédibles (la vision d’un nonagénaire aventurier, séducteur, bagarreur...) et les esquisses démodées (les portraits condescendants des Mexicains et de Rafo rappellent le cinéma d’un autre âge...).


Aussi épuré que peu inspiré, Cry Macho ne semble être destiné qu’aux plus fervents admirateurs de Clint Eastwood, ses fans conquis d’avance qui feront sans doute preuve d’indulgence et de bienveillance à l’égard d’un cinéaste qui leur a déjà tant offert. Dommage quand même d’être autant recroquevillé sur soi et de ne pas tenter de parler à tout le monde, au moins une dernière fois.

Procol-Harum
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le 11 nov. 2021

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