Au moment d’évoquer ce "gâteau" géant (mélange de plusieurs couches, plusieurs ingrédients) qu’est l’Amérique, peut-être que l’on pourra considérer "Dear White People" comme une photographie (ou plutôt un instantané) de ce qu’il se passe Outre-Atlantique.



Une recette originale…



En prenant le parti d’évoquer une micro frange de la jeunesse américaine, "Dear White People" se distingue assez nettement de la concurrence. Surtout lorsqu’il est question de mixité sociale. Exit donc les ghettos, les dialogues ponctués de "bro", "fuck", par ici la sortie l’OST qui fleure bon le (pseudo) gangsta-rap. "Dear White People" se singularise par cette approche de la jeunesse estudiantine dorée américaine. Cet âge où s’évapore la sueur adolescente au profit d’une fièvre plus ou moins adulescente. Pas de place ici (ou très peu) donc pour l’un des sujets américains les plus tournés en dérision, la classe moyenne américaine en l’occurrence, véritable bouc-émissaire (pour le meilleur et pour le pire) de l’entertainment US.


Alors certes, ça n’est pas du Spike Lee (et encore sa filmographie m’est quelque peu étrangère) mais l’originalité est là. Ou comment un film parvient à déplacer un problème sociétal dans un contexte qui s’y prête pourtant si peu. La question sensible de la présence de minorités sans pour autant déraper dans la comptabilité de bas-étage, l’interrogation autour de la représentativité des tendances politiques, des origines au sein d’un établissement scolaire, la stratification et les raisons de sa construction… "Dear White People" est un peu un condensé de la vie américaine traduit à l’échelle d’une micro-société et/ou société dans la Société. Avec une esthétique soignée (proche des récents Wes Anderson), une image en décalage avec les enjeux évoqués et une bande-son à la hauteur des sujets "étudiés" (du classique, donc sans risque jusqu’à en devenir prétentieux), "Dear White People" surprend tant le contre-pied (visuel) est réussi.



…mais aux ingrédients sans-goût & sans saveur



Néanmoins c’est sur le fond que le long-métrage pêche. En mettant aux prises des personnages aux positions si tranchées que l’on frise la caricature et le militantisme stérile, le film se contente d’être un "Gossip Girl" amélioré. Certes Tessa Thompson (par ailleurs brillante sur certaines scènes) est ce porte-voix féministe, pleine de références mais quel dommage de ne pas avoir plus creusé son personnage


(surtout lorsque l’on comprend qu’elle est issue d’un couple mixte)


On pourrait la résumer à une syndicaliste aboyeuse cheap, aux réflexes communautaristes tendancieux et desservant (presque) la cause qu’elle défend. Idem pour le personnage de Justin Dobies qui intervient comme "tampon" entre les velléités contestataires de Tessa Thompson et sa condition de jeune femme en devenir. De simple toyboy à un monologue saisissant, plus de mesure et de nuance dans la palette du personnage auraient été le bienvenu.


D’autant que le film survole pourtant des thématiques incandescentes (tant aux States qu’en France) et qui sont peu ou prou liées à la mixité sociale dans les établissements scolaires : celles de l’emprise des "boards"/conseil d’administration dans la rédaction des programmes, des enjeux personnels et de pouvoir dans la direction d’un bâtiment pourtant voué à l’enseignement et la question essentielle à peine évoquée en fin de film mais pourtant central, celle de l’argent. Cette notion pécuniaire qui influencera l’architecture, l’emplacement, l’agencement et la capacité d’accueil des étudiants contraignant ou laissant place à toute sorte de répartition. Ce nerf indispensable qui permettra de drainer un réservoir suffisant d’élèves d’une certaine catégorie sociale pour ensuite "ouvrir les vannes" pour une autre, de produire et reproduire une classe active en fermant plus ou moins les yeux sur les stigmatisations, les mises à l’index de certains étudiants.


En simplifiant à l’extrême les leviers utilisés pour communiquer aujourd’hui ("ah oui la presse écrite, ces vendus", "je veux des vus !"…), "Dear White People" s’enfonce un peu plus dans les stéréotypes qu’elle souhaitait pourtant dénoncer. Certes, il y a cette dictature de la viralité, du tout digital. Mais au fond, ces nouveaux terrains d’expression ne constituent pas un élargissement de l’arsenal disponible pour toucher un "lectorat" aux habitudes nouvelles ? Idem pour la question des minorités visibles aux Etats-Unis. En vantant les mérites du melting-pot, il n’est pas rare de voir croître ici où là des messagers remettant en cause les travers qu’occasionnent ce vernis unitaire malgré d’apparentes différences. En en proposant encore une réponse par une certaine forme de violence, une bonne dose de trash, voire de vulgaire, "Dear White People" fige un peu plus les positions, se contentant d’apporter des munitions chez les uns (dénonçant à raison mais aussi avec excès la sclérose sociale américaine) comme chez les autres (défenseurs d’un communautarisme de plus en plus présent face à un abandon du gouvernement/gouvernement fédéral). Et au final de mettre de côté cette part de la population américaine silencieuse qui (ex: Tyler James Williams aka "j'ai mué de la voix depuis "Everybody Hates Chris"), si elle ne souhaite pas forcément choisir entre les deux "courants", ne se reconnaît pas totalement dans les valeurs mises en exergue par ces adeptes.


En somme, "Dear White People", propose une variation singulière autour de la mixité sociale américaine. Si le propos est joliment mis en boîte, si un soin certains a été pris pour structurer l’histoire, dommage que le long-métrage enfonce quelques portes ouvertes et tombe si facilement dans une certaine facilité. Certes cette opposition d’opinion est légitime compte tenu de l’âge des protagonistes (du réalisateur ?). Néanmoins, quel dommage de ne pas avoir été à la hauteur des ambitions supposées du film en ne proposant qu’un "digest" de la situation sociale de la jeunesse américaine.

RaZom
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le 7 avr. 2015

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