DETROIT (16,8) (Kathryn Bigelow, USA, 2017, 143min) :
Ce captivant pamphlet incendiaire nous plonge au cœur de l'été 1967, dans la ville de Detroit (Michigan-USA) pour nous conter les émeutes les plus destructrices de l'histoire américaines entre le 23 et 27 juillet. Kathryn Bigelow depuis sa mue amorcée en 2009 avec l'épatant Démineurs (récompensé par 6 Oscars dont Meilleur film et réalisatrice) et le brillant Zéro Dark Thirty (2012) continue dans cette même veine pour narrer ces événements tragiques et mettre à nouveau les américains face à leur démons. La cinéaste nous livre un film effrayant sur folie raciste, à travers une saisissante reconstitution des émeutes opposants la communauté noire à la communauté blanche lors de ces terribles nuits d'affrontements. Kathryn Bigelow de façon étonnante et audacieuse se permet de commencer son film par une contextualisation historique par le biais d'un film d'animation didactique, pour mieux situer exactement l'état d'esprit particulier de cette ville avec ses tensions sociétales sous-jacentes et l'accroissement des tensions raciales. Avec la même intelligence la réalisatrice divise son film en trois parties. La première partie d'exposition chorale nous amène vers une sorte de Bipoic musical sur le groupe The Dramatics en train d'auditionner pour signer un futur contrat avec le célèbre studio de la Motown alors qu'à l'extérieur le chaos s'installe à mesure que les tanks pénètrent le ghetto black et que les policiers tirent à bout portant dans un climat d'insurrection. La deuxième partie en forme de colonne vertébrale scénaristique décrit de façon implacable la nuit tragique dans le Motel Algiers où une faune bohème à majorité noire se réunisse et vont subir violences verbales, tortures, humiliations et l'enfer mortel pour certains. Avec son style quasi documentaire caméra à l'épaule, Kathryn Bigelow se place au plus près des corps martyrisés et de l'horreur la cinéaste vibre d'effroi, filme de façon percutante presque en temps réel, pour nous asséner un véritable coup de poing parfois insoutenable lors de ce huis-clos particulièrement oppressant et anxiogène. La réalisatrice évite malgré de nombreuses (parfois trop longues) scènes ahurissantes illustrant l'acharnement des policiers blancs sur leurs victimes, de développer trop de manichéisme en démontrant avec subtilité et nuances ô combien le poison du racisme n'était pas inoculé dans tous les policiers présents cette nuit là. Seuls certains critiques qui possèdent la malhonnêteté intellectuelle en eux, où qui se sont endormis devant le film, peuvent prétendre le contraire ! La troisième partie en forme de thriller juridique relate de façon elliptique et trop ramassé le procès qui suivit cette nuit de terreur et démontre judicieusement l'injustice en marche, qui broie du noir en blanchissant les policiers de toute culpabilité malgré les trois morts et certains faits prouvant la culpabilité des policiers qui se sont brutalement salis aux sévices du crime raciste. La metteuse en scène pour éviter la bavure, s'appuie solidement tout au long du film sur le scénario très documenté de Mark Boal, insérant même de vraies images d'archives, pour offrir une narration passionnante et dynamique implacable sur des faits passés, sans jugement moral mais en restant objective historiquement (eu égard aux documents et témoignages recueillis par les protagonistes les faits n'ayant jamais été reconnus officiellement) pour mieux instaurer certaines ambiguïtés à son récit. Cette œuvre rageuse offre même des pistes de réflexions qui nous ramènent vers des faits récents avec une terrible actualité (bavures policières, Charlottesville..) et sur le constat fataliste d'une justice toujours à deux vitesses suivant la paupérisation des classes donc la communauté noire est souvent encore la première victime dans le pays de l'oncle Sam. Pour illustrer cette page sombre de l'histoire des Etats-Unis, la réalisatrice s'appuie essentiellement sur un convaincant casting d'acteurs inconnus et sur la présence en contre-emploi de l'étonnant Will Poulter (Le Labyrinthe, The Revenant) et du désarmant John Boyega (Star Wars), pour décliner avec précision et impact sa mécanique dramatique inéluctable. A l'ère de Trump, où les clivages semblent être en recrudescence, cette claque cinématographique maîtrisée sous haute tension fait écho avec au mouvement Black Lives Matter (mouvement militant afro-américain né en 2012 qui se mobilise contre la violence ainsi que le racisme systémique envers les Noirs). Ce long métrage dense s'avère digne des années 70, époque où le cinéma américain contestataire et politique avait une grande légitimité, et trouve heureusement encore aujourd'hui une place salutaire au milieu de blockbusters décérébrés pour mieux nous éclairer. Venez donc vous engouffrer dans la chaleur de la nuit au cœur de Detroit. Sincère. Rageur. Puissant. Essentiel.