Serguei Loznitsa adapte un des cinq récits de Doubar et autres récits du Goulag de Georgui Demidov. Cet écrivain fut interné 14 années à la Kolyma en même temps que Varlam Chalamov. Pour Loznitsa, c'est la troisième adaptation d'une œuvre littéraire, avec Une femme douce (Dostoïevski) et Dans le brouillard (Vassil Bykov), lui pourtant si habitué au genre documentaire. Pourtant, il maîtrise la fiction parfaitement, plaçant le/la spectateur·ice dans un piège narratif où on n'arrive à peine à distinguer ce qui est vraiment absurde.
Deux Procureurs raconte l'histoire du jeune et tout nouveau procureur de Briansk, qui est amené à rencontrer l'un des nombreux détenus accusés à tort par le régime, à l'époque des grandes purges staliniennes, grâce à une lettre qui lui est malgré tout parvenu. À partir de là, Kornev va se lancer à corps perdu dans une quête de justice. Tout est dépeint par Loznitza à la fois avec rigueur, mais aussi dans un style grotesque, faisant apparaître l'absurdité du régime, mais aussi l'insensé de cette quête dont le spectateur·ice connaît l'issue malheureuse.
C'est là que Deux Procureurs devient intéressant. Comment montrer une histoire du temps des purges de Staline dont on connaît l'aspect tragique, tout en gardant le suspens de cette histoire ? Nous doutons de la sincérité de chaque personnage. Seuls les murs qui se dressent et les portes qui s'ouvrent et se referment donnent un sentiment de réalisme. Les plans sont réfléchis pour porter cette histoire dans un tourbillon absurde qui montre bien plus la réalité du régime de Staline (et en parallèle celui de Poutine) que l'aspect irréelle que peut proposer une fiction pure.