Dans Dogville on trouve les trois critères chers au réalisateur : des partis pris intéressants de mise en scène, le chantage à l'émotion, et la provoc pure et dure. Chacun correspond à une partie du film :

La mise en scène originale, c'est l'intérêt du début du film. On découvre ce concept pendant l'exposition, le décor à la craie, les bruitages et la voix-off incessante. On se rend vite compte de l'intérêt de l'absence de murs : dans cette ville communautaire (caricature de l'Amérique Redneck) tout le monde se surveille et connaît tous les petits secrets de tout le monde, c'est comme si les murs n'existaient pas... Métaphore prise ici littéralement par la mise en scène. Le voyeurisme permanent du spectateur dans cette ville sans murs dérange et fascine, au début au moins. Puis, ça lasse.

Le chantage à l'émotion revient vite en force. Lars nous rejoue pendant une bonne partie du film le martyr de l'innocence ; Grace est exploitée, humiliée des manières les plus extrêmes par les gens hypocrites et cons de la masse, alors qu'elle ne cherche qu'à être gentille. On connaît la musique, il nous l'a déjà jouée dans Breaking the Waves et dans Dancer in the Dark. C'est long, c'est chiant, heureusement cette mise en scène qui fuit le réalisme couplée à la voix off et aux cartons-têtes de chapitres mettent de la distance entre le spectateur et les personnages. J'ai quand même failli sortir de la salle tellement ça devenait complaisant, ennuyeux et décevant.

Heureusement que je suis resté jusqu'au bout.

Car à la fin revient Lars redevient le provocateur des Idiots. Changeant totalement de stratégie par rapport aux deux films sus-nommés, Lars ne fait plus de Grace une sainte martyr, mais lui donne le pouvoir d'être juge et bourreau de ses tortionnaires. Pouvoir qu'elle accepte. Et Grace, à son tour, devient monstrueuse. Ou juste ? Question de jugement : le mot est lâché. Et Lars arrive de plein fouet avec une critique des américains solidement ancrée dans l'actualité (le film date de 2003, début de la guerre d'Irak). Car c'est bien de l'Amérique dont il s'agit, l'Amérique caricaturée où l'on se pose en juge des autres parce qu'on s'estime leur supérieur moral, et où la meilleure solution aux problèmes réside dans la violence. C'est ce schéma que produisent les gens du village contre Grace, puis qu'elle reproduit contre eux. Chaque parti juge l'autre dans son système de valeurs, et comme l'acceptation est impossible sans changer ce système, on détruit l'adversaire et donc le problème. Le film parle donc de la relativité des systèmes de valeur, de la morale ; cette relativité qui est anathème aux faucons américains pour qui le système de valeur US est supérieur aux autres et doit être imposé par la force.

Heureusement donc qu'il y a cette fin inattendue, qui rachète l'ennui distillé par 70% du film. Un bon point pour la décomposition en chapitres, qui aide à ne pas quitter la salle (c'est chiant mais on est au chapitre 8, c'est presque fini, allez, je reste jusqu'au bout).
Khaali
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le 8 nov. 2010

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