eXistenZ
6.7
eXistenZ

Film de David Cronenberg (1999)

J'aime à voir de mon balcon passer les cons*...

Dans un avenir proche, une créatrice de génie, Allegra Geller, a inventé une nouvelle génération de jeu qui se connecte directement au système nerveux : eXistenZ. Lors de la séance de présentation du jeu, un fanatique cherche à la tuer. Un jeune stagiaire en marketing, Ted Pikul, sauve la vie d'Allegra. Une poursuite effrénée s'engage autant dans la réalité que dans l'univers trouble et mystérieux du jeu.


Le film opère une fictionnalisation d' une avancée technologique majeure et, par la même, questionne notre rapport aux nouvelles technologies et à l'intelligence artificielle. Ici, la manette qui permet de « rentrer dans le jeu » est un organisme vivant à part entière. Le « gamepod » ou « pod » puisque c'est son nom, est directement « branché » à l'être humain. Celui-ci rentre ensuite dans le jeu et ressent tout sensoriellement et même mentalement. Dans le scénario du film, l'intelligence artificielle est centrale car les personnages principaux évoluent dans le jeu et la frontière entre la réalité et le monde virtuel – qui n'est pas si virtuel - est troublée. Ce film, sorti en 1999, c'est eXistenZ et il s'agit d'une œuvre aux multiples facettes que j'essaierai de décortiquer à travers mes réflexions. Les thèmes des nouvelles technologies et de l'intelligence artificielle étant très large et régulièrement explorés par l'art, qu'il s'agisse de la littérature de science-fiction ou le cinéma, je vais essayer de structurer ma pensée autour de ma réception du film, nécessairement subjective.


Le réalisateur, David Cronenberg, est un artiste que j'affectionne pour son regard sur le monde, sur le cinéma et pour son esthétique. Il développe un rapport au corps et aux sens de manière générale qui permet d'ouvrir le champ cinématographique et thématique vers de nombreuses réflexions. Dans La Mouche, du même réalisateur sorti en 1986, il explore également des thématiques qui lui sont chères notamment la transformation du corps qui ,ici, en dit long sur les manipulations scientifiques et leurs dangers. Tout y est organique, loin de représenter une vision aseptisée du corps. Le réalisateur canadien présente le corps en transformation, en destruction, n'hésitant pas à mettre en avant ce qui pourrait rebuter pour mieux expliciter son propos.
Ce film traite des mondes virtuels et de nos rapports à ces derniers. Dans cette optique, il est notable que la place de l'intelligence artificielle aussi appelée IA est prépondérante par les rôles des PNJ ou Personnages Non Joueur au sein de l'intrigue. Il s'agit alors de questionner sa place au sein du film, de son scénario et du discours du film.


Le film met en avant une avancée technologique majeure au sein même de sa diégèse : le pod. Il s'agit d'un organisme vivant qui sert de manette et qui se branche directement au système nerveux du joueur, les dialogues mettent sur la voix en ce qui concerne l'interprétation de sa nature en évoquant une « nature animale ».Ainsi, l’œuvre distille un réseaux de signes qui permettent d'expliciter un des propos de Cronenberg : l'Homme se prend pour Dieu. On apprend plus tard dans le film, lorsque les personnages se retrouvent dans le jeu que la conception de cette manette résulte d'une manipulation génétique d'espèce d'amphibien. Dès l'entame du film, le cadre place l'action dans une église, faisant d'Allegra Geller une sorte de prêtresse du jeu vidéo et l'assemblée qui lui fait face, des fidèles à une messe. Cela est accentué par le nom du jeu, eXistenZ, dans lequel on entend le verbe exister ,« to exist », le jeu vous propose une expérience de vie, à la manière d'un livre sacrée dont on dit que « les possibilités sont infinies ». De plus, les personnes, dont on apprendra plus tard qu'elles sont personnages, disent à Allegra lorsqu'elles la voit « vous avez changé ma vie » et se prosterne devant elle à l'image du personnage de Gas, campé par Willem Dafoe. Le personnage d'Allegra est en cela pertinent puisqu'elle est « créatrice » de jeu, elle crée donc les personnage du jeu. L'IA est donc crée par une seule personne qui la contrôle et l'esthétique du film, aux antipodes de ce que tout à chacun pourrait penser si l'on parle de jeux vidéo, donne cette impression que l'humain est contrôlé. La diégèse du jeu, et du jeu dans le jeu présente un univers très organique où, comme le dit Ted « tout paraît si réel ». Ici, la créatrice du jeu joue à sa propre œuvre et se pose en divinité de ce monde et les PNJ en autant de figure déifique programmées. Le film pose ainsi la question : sommes-nous tous programmés à l'image de ces PNJ, sommes-nous des être artificiels qui ont l'illusion de ne pas l'être ? Le scénario du jeu et la place du joueur sont conditionné, le joueur est ainsi une IA qui s'ignore puisque Ted parle « d'instinct de joueur » et se justifie de ses actions en arguant que « ce n'est pas moi c'est mon personnage ».


Une métaphore filée est alors remarquable tout au long du film, son aspect méta cinématographique. Le film parle de lui-même en permanence. Le joueur qui devient une IA à part entière en étant programmé par le jeu, physiquement en mentalement programmé, le jeu, univers virtuel est semblable au film et le discours d'Alegra celui d'une artiste, le jeu dans le jeu permet d'expliciter le statut de film du film également, tout est méta. En effet, eXistenZ, le film, parle autant d'eXistenZ le jeu que de lui même. Les dialogues évoquent, lors de la « première » entrée dans le jeu de Ted, à propos de l'expérience du joueur, des « fondus », des « transitions », vocabulaire que l'on emploi également dans l'analyse filmique. De même, les spectateurs du film sont , semblables aux joueurs  qui, à la fin du film disent qu'il y a « tous ces rebondissements », en parlant du scénario du jeu auxquels ils jouent mais également de celui du film dont on ne sait jamais, jusqu'à la fin, si les personnages sont encore dans le jeu ou non. 

Il est d'ailleurs notable que les personnages que l'on retrouve tout au long du film et qui s'avèrent être, suppose-t-on, des joueurs qui incarnent eux-mêmes des personnages, jouent à « tranCendenZ « donc à un jeu qui à la manière d'une divinité permet d'accéder à une forme de transcendance, d'être plus qu'un simple humain. La métaphore est telle que le film propose une vision philosophique assez prégnante sur son scénario : l'homme n 'a pas de libre arbitre. Selon les dires de Ted « le libre arbitre n'est pas un facteur très important », et Allegra de lui rétorquer : « comme dans la vraie vie » il n'est alors question que de se créer un monde dans lequel s'enfermer pour fuir le monde réel dans lequel on est également enfermer...


En tant que spectateur, on se demande même si les sentiments, les émotions humaines ne sont pas réduites à n'être que des mécanismes entièrement artificiels. Lorsque Ted et Allegra sortent du jeu, Ted se demande s'ils sont vraiment retourné dans la « réalité » ou non. Allegra, comme pour lui prouver qu'elle n'est pas un personnage, l'embrasse. Or, cela est également une action programmée et le film tend à nous faire remettre en question chaque acte des personnages, chaque élément du réel qui n'en serait pas un .Le film met en avant l'homme en tant qu'Intelligence artificielle, l'humain mécanique « ton système nerveux adopte la configuration », l'humain-machine.


Les rapports aux mondes virtuels et à l'IA sont sans cesse questionné dans eXistenZ. La principale manière utilisé par le film de troubler la notion de réalité dans le récit pour le spectateur comme pour les personnages est l'enchâssement des niveaux de réalité.


Le jeu dans le jeu.


Le montage du film, à plusieurs reprises, opère une transition dans le mouvement : la première fois que Ted se retrouve dans le jeu, la caméra suit son regard et, dans le même mouvement, se retrouve dans l'univers du jeu. Ainsi, il s'agit pour Allegra de vérifier si le nouveau système fonctionne correctement et pour Ted, de découvrir l'univers du jeu en même temps que le spectateur. Les règles de l'univers sont donc expliqués : pas de doute, nous sommes dans un jeu. Et c'est là que Cronenberg nous dupe car le personnage d'Allegra est elle-même un personnage qu'elle joue, les niveaux d'enchâssements de la réalité font remettre en question toutes les situations, les dialogues des PNJ comme des personnages de joueur. Quelle est la limite entre l'IA programmé et les joueur agissant "par eux mêmes".
La réalité dans laquelle évolue les personnages du film au début, qui n'est donc pas la réalité puisqu'ils sont dans un jeu, est encore différente de celle du jeu dans le jeu. L'univers graphique, le travail de lumière du chef opérateur, des décors et de réalisation permettent de maintenir l'illusion. Selon Ted, lorsqu'il dans le jeu : "tout est tellement sale, absurde et grotesque", autant que sa réalité à lui...Jusqu'au point où sa "vraie vie" supposée lui paraît iréelle. Les spectateurs remettent en question leur rapport à la réalité par la technologie et l'IA. Comme les personnages du film, ils cherchent du sens.


Une autre thématique, très contemporaine elle-aussi, concernant l'intelligence artificielle est celle du doute. Les personnages doutent en permanence des PNJ, comme de la réalité. Ces êtres, semblant si humain, programmés pour avoir l'air humain, peut-on leur faire confiance.


Tous sont des traitres, même ceux en qui on a confiance, même Ted. Et si les traîtres sont légions c'est que, en dehors du scénario du jeu dans le jeu, notre rapport à l'IA tend à être sans cesse questionner.


L'IA dupe les humains qui sont dépassés par leur création. Le personnage de Kiri Vinokur, joué par Ian Holm, et en qui Allegra a confiance, est lui aussi un traître qui copie le jeu, il la dupe par les sentiments, par le mensonge : des armes rhétoriques humaines. Jusqu'a sa mort il affirmera "on est dans votre camp".


Ce doute est accentué par les archétypes utilisés tout au long du film. L'IA répond à des archétypes bien connu. Même les joueur, à l'image de Ted, joué par Jude Law que l'on a déjà pu voir dans Gattaca, est l'archétype du héros malgré lui, physiquement passe-partout, représentant d'une imagerie culturelle répandue. Le physique, au même titre que l'univers graphique et les effets spéciaux du film, contribue au doute. Les joueurs sont des traitres et l'humanité est déshumanisé à travers la mécanisation des corps et des esprits. Même les prises de conscience semblent être programmées.


-



j'avais tellement d'accent que je n'arrivais pas à me comprendre"




  • les accents stéréotypent les joueurs et l'IA
    • C'est ton personnage qui parle ne résiste pas
      Les archétypes physiques et moraux participent au trouble.
      D’un point de vue cinématographique, tous ces éléments ainsi que le montage du film mettent en question la réalité, le rapport des personnages à cette réalité comme le rapport des spectateurs au film.
      Comme tout cela se passe dans un jeu, les règles qui le définissent permettent des libertés, des jeux d’acteurs parfois caricaturaux, des archétypes de personnages ou des dialogues illustratifs ont leur place ici.


* CONS : Corollaires Obligatoirement Normaux-Sympathiques

Jekutoo
8
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Créée

le 31 mars 2020

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Jekutoo

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