Riche et déroutant, El topo fait partie de ces OFNi qui diviseront les foules. Entre ceux qui se laisseront embarquer pour un récit initiatique riche en métaphores et ceux qui manqueront le bus pour rester, impuissants et exaspérés, sur le bord de la route, personne ne manquera d'arguments pour défendre ou malmener ce film atypique, complètement habité par la fougue créatrice du grand Jodorowsky. En connaissant l'homme et son univers, l'oeil que l'on porte sur cet objet filmique hors norme est forcément différent, plus préparé pour encaisser ce déluge symbolique d'humanité, de sexe et de violence.


Le récit est en plusieurs temps, chacun ayant pour objectif d'imposer une nouvelle étape dans l'évolution d'El Topo, pistolero en quête de vérité dans une vie qui semble lui échapper. Tantôt justicier, messie ou exécuteur, guidé par ses rencontres et ses pulsions, l'homme ne cessera de se transformer. Joué par un Jodo possédé par son rôle, il est au coeur de chaque plan du film et moteur principal de l'intrigue. Cette dernière, finalement assez linéaire et classique (une succession d'obstacles à surmonter pour passer au niveau supérieur), permet au spectateur de se raccrocher aux branches lorsqu'il se laisse dépasser par la puissance des images. Jodorowsky insuffle en effet à son film tant de thématiques qu'il est difficile de tout saisir. Des messages christiques un peu lourds, aux très belles métaphores humaines, chaque plan a son message propre, véhiculé par une maîtrise formelle en dents de scie, qui même lorsqu'elle est un peu loupée, n'est jamais vide de sens.


Et elle est bien là la puissance d'El Topo, dans cette capacité à convaincre même lorsque le film s'égare dans des idées loufoques un peu hors de propos. Car des plans loupés, il y en a pas mal, dans lesquels des maquillages un peu ridicules font sourire au prime abord mais questionnent ensuite car l'utilisation que Jodorowsky en fait est très réfléchie. Ce choix également du 4/3 (peut être une contrainte technique, je ne sais pas), est à mon sens un peu dommageable à la force graphique des paysages traversés et pourtant bien mis en valeur par le cinéaste. Tous les plans qu'il propose en prenant de la hauteur par exemple sont très dynamiques et donnent de la pêche aux séquences qu’ils habillent (les prises de vue des camps des différents maîtres par exemple, notamment ce lac de sang lorsque le héros revient sur les traces de son carnage).


Mais cette puissance graphique métaphorique joue aussi contre le film lui même. A la manière d'une bande dessinée, Jodorowsky pense en terme de plans (de cases) plus que d'enchaînement d'images, et parfois peine à les relier entre elles au sein d'une même séquence. Il parvient à leur donner de la force, je pense notamment aux mises à mort, souvent faites de la même façon, en deux cases, la personne vivante dans une position suivi d'un cut sur cette même personne, dans la même position, pleine de sang et inanimée. Mais parfois, ce manque de cohérence dans les séquences leur porte préjudice, en témoigne cette traversée du désert un peu chaotique, où seuls les plans très forts en thématique permettent au tout de ne pas tomber dans la caricature stérile, d'autant plus que le message religieux qui imprègne le passage est assez pompeux.


Véritablement la marque d'un esprit fougueux qui s'autorise tout ce qu'il pense bon pour son film, en improvisant avec ses acteurs bon nombre de séquences (le viol dans le désert de sa propre compagne par exemple a semble-t-il été fait sans que cette dernière soit complètement mise au courant ), El topo est en permanence sur un filin très faible entre puissance et théâtre trop burlesque. Le fait que Jodorowsky en joue avec intelligence sans perdre de vue le fil fin qui fait son intrigue lui permet de faire pencher la balance du bon côté. Mais certains passages font que pour ma part je suis par moment resté un peu retrait.


Même si je considère El topo comme une belle démonstration d'inspiration ainsi que de détermination d'un artiste prêt à tout pour illustrer ce qui ronge son esprit, je ne peux totalement faire abstraction de quelques choix discutables qui m'ont fait sourire alors que ce n'était pas leur but (la dégaine de certains maîtres par exemple). Mais me restent en tête tout de même des symboliques d'une puissance terrible, dont je suis certain de me rappeler lorsque je parlerai du film dans le futur. La force des oeuvres à part, qui provoquent réflexion sur le moment, mais nous habiteront longtemps après visionnage. La marque de fabrique du génial Jodorowsky en somme.

oso
8
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le 17 févr. 2014

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oso

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