Un bon équilibre entre le fond et la forme

Le XXIe siècle commença avec une autre Guerre mondiale et les survivants firent vœu de ne plus jamais laisser pareille horreur se produire. À n'importe quel prix... Dans cette civilisation reconstruite sur les décombres, les émotions – sources de tous conflits – sont bannies avec un médicament, et les œuvres d'art – sources des émotions – interdites : qui en possède est exécuté sans procès. Soldat d'élite de ce nouvel équilibre, John Preston brise un jour sa fiole de drogue et voit peu à peu sa foi en ce système s'écrouler...

Si les premières scènes rappellent irrésistiblement Fahrenheit 451 (Ray Bradbury ; 1953), la suite du récit en vient assez vite à se réclamer de 1984 (George Orwell ; 1948) comme du moins célèbre Un bonheur insoutenable (Ira Levin ; 1970), ici agrémentés d'un soupçon du Meilleur des mondes (Aldous Huxley ; 1932) ; pourtant, c'est bien le THX 1138 (1971) de George Lucas qui servit d'inspiration première à Kurt Wimmer pour écrire le scénario de cette production atypique et hélas encore assez mal connue en dehors de certains cercles spécialisés... Bref, Equilibrium évoque une sorte d'anthologie de la dystopie (1), ce qui valut d'ailleurs à son réalisateur quelques critiques assez malvenues.

Bien que son intrigue montre très peu de divergences avec la plupart des poncifs du genre, ce film brille néanmoins par la juxtaposition d'idées éternelles – au moins dans le domaine de la littérature – et d'une plastique rarement exploitée avec autant de talent – même si on l'a déjà vue quelque part... En fait, Equilibrium représente un quasi parfait équilibre entre le fond et la forme, les idées et les effets spéciaux, les émotions et les scènes d'action. Même si loin du chef-d'œuvre, ce film compte néanmoins parmi les itérations les plus abouties d'un genre toujours difficile à maîtriser pleinement compte tenu de sa propension à basculer trop vite dans le ridicule ou bien le larmoyant.

Outre la plastique déjà évoquée, et qui présente bien des qualités en dépit de ses emprunts évidents à au moins un ténor du film d'action (2), cette réussite doit beaucoup au jeu d'acteur très bien maîtrisé d'un Christian Bale qui prouve ici son aisance dans les scènes d'action comme dans celles de composition, ce qui n'est pas banal – et même si ces dernières manquent peut-être un peu de cette subtilité qu'on trouverait certainement chez un comédien plus expérimenté : à la décharge de l'artiste, on peut néanmoins admettre qu'un personnage qui découvre les émotions pour la première fois à l'âge de trente ans passés en serait très probablement bouleversé...

Pour le reste, et en dépit d'un montage parfois bancal – qui réjouira tous ceux d'entre vous friands d'incohérences narratives – ainsi que d'un final un peu précipité, cette réalisation reste dans l'ensemble très bien maîtrisée et à aucun moment ne parvient à faire oublier les questionnements – jamais triviaux – derrière l'action pure – et très peu gratuite. On apprécie de même que le propos se voit ici illustré par des œuvres visuelles et auditives qui cadrent beaucoup mieux avec le support cinématographique que celles des productions écrites citées en début de billet et dans lesquelles l'évocation de créations artistiques rend hélas assez mal.

Avec son récit tout à fait émouvant d'un homme qui apprend à redécouvrir le sel de la vie, mais aussi son tableau d'un avenir rendu toujours plus possible par les avancées scientifiques, ainsi que son thème central pour le moins dérangeant, Equilibrium fait partie de ces petits bijoux que vous ne regretterez pas d'avoir vu.

(1) sur le point précis où le roman d'Huxley se trouve discernable, on pourrait citer aussi Les Humanoïdes (Jack Williamson ; 1948) sauf que ce dernier ouvrage n'appartient pas vraiment au genre de la dystopie.

(2) je parle de Matrix (Andy et Larry Wachowski ; 1999), une inspiration artistique que Kurt Wimmer n'a jamais caché.

Note :

En dépit de son budget très faible d'environ 20 millions de dollars, Equilibrium ne parvint à rembourser qu'à peine un quart de son coût, avec un bénéfice évalué à 5,3 millions – exploitation internationale incluse. Pourtant, ce film demeure une œuvre-culte auprès de nombreux cinéphiles pour sa plastique de grande qualité et ses thèmes sensibles ainsi que ses chorégraphies de combat d'excellente facture.
LeDinoBleu
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le 8 mai 2011

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