Gangs of Taïwan
6.3
Gangs of Taïwan

Film de KeFF (2024)


Il y a une chose que les cinéastes asiatiques savent faire de façon indiscutable, c'est filmer l'action. Bien sûr ce cinéma d'extrême orient est pétri de pleins d'autres qualités, mais que l'on se réfère aux grandes heures du cinéma de samouraïs japonais, que l'on prenne comme exemple l'âge d'or du "wu xia pian" chinois, qu'on se place dans le cinéma populaire issu des "quatre dragons asiatiques" en sommeil que sont la Corée du sud, Hong-Kong, Singapour et Taïwan dont les représentants les plus audacieux seront courtisés puis plagiés par Hollywood; filmer l'action a toujours été un savoir faire du cinéma asiatique. Tant l'action voulue réaliste que celle fabuleuse ou fantastique, qu'on parle de bagarres à mains nues, de duels épiques aux katanas, d'échanges nourris de tirs d'armes automatiques ou d'improbables chorégraphies aux sommets de bambous millénaires défiant toute loi physique, le soin apporter à cet art martial cinétique et cinéphile par le cinéma asiatique m'apparait comme rarement égalé par le reste de l'industrie mondiale.


Pour son premier long métrage le jeune réalisateur américano taïwanais KeFF perpétue cet héritage et ce savoir-faire dans un film qui, sur les séquences nombreuses et généreuses d'actions pures, mérite déjà toute notre attention et notre bienveillance. De plus, alors qu'il aurait déjà été fort plaisant pour le spectateur d'assister à un bon film maîtrisé du genre, nous est offert en plus une trame scénaristique à l'écriture précise, au développement intelligent, un récit qui aux premiers abords va dépeindre un monde violent, radical, aux règles morales bien éloignées de nos idées de vertus mais qui pourtant va rapidement s'inscrire dans la tradition dramatique cornélienne et plus précisément dans le dilemme du même nom, que va vivre le principal protagoniste.


Zhong-Han, jeune homme mutique vit une double vie. Dans la première il aide un couple dans leur restaurant traditionnel, ils ont une relation de confiance, presque filiale. Dans la seconde, la nuit il rackette pour le compte de gangs locaux. Mais va t'il réussir à faire coexister ces deux vies en parallèle l'une de l'autre de façon indéfinie ? Bientôt des éléments parasites vont précipiter l'instant tant redouté où les agissements délictueux et criminels des gens pour qui il fait le coup de poing la nuit, vont se heurter aux intérêts modestes de ceux qu'il considère comme sa famille adoptive, avec en guise de tisonnier pour attiser le feu, les appétits voraces d'une entreprise qui voudrait bien se débarrasser de ces cantines populaires, qui font tâches au milieu de leur grand projet d'urbanisme à destination de la nouvelle aristocratie.


Via le prisme de ce portrait contraint par l'adversité, tiraillé entre la raison morale et les allégeances faites au groupe, le désir d'épargner ses bienfaiteurs et l'empressement à profiter à son tour de la manne promise par la modernité, c'est en réalité le portrait d'un pays, Taïwan, qui bénéficie d'un statut particulier en étant d'une part attaché viscéralement à ses traditions et son indépendance politique vis à vis de la Chine continentale, quand celle-ci voudrait réintégrer ce territoire de tous les possibles à son giron, lui niant ses spécificités, ses velléités de continuer à décider seul de son avenir, de sa stratégie de développement économique principalement. Un nouveau western où les stylos signant les chèques ont remplacés les installations de colons pour s'approprier des territoires, des terres et si ceux qui y vivaient jusque là montre trop de réticences ou même de tendances à la résistance, alors on fera intervenir la force brute, la persuasion brutale et la terreur comme nécessité à la fin escomptée par les derniers arrivés.


En conclusion, un très bon film d'action dans le digne héritage de la tradition asiatique, un subtil regard sur le présent et le devenir probable d'un territoire qui de par sa taille ne pourra éternellement survivre aux coups de butoir de son puissant voisin, le portrait tendre, malgré tout, d'une jeunesse sans repères et une fin qui sans tomber dans l'optimisme béat suscite quand même une lueur d'espoir quant à la moralité ou plutôt ce qui compte au final dans la pensée d'homme à la croisée des chemins et des choix à faire.

Spectateur-Lambda
7

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Créée

le 11 août 2025

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