Moins connu de nos jours que ses prestigieux confrères de l'époque, les McCarey, Lubitsch, et autres Van Dyke, Gregory La Cava mérite un peu plus de reconnaissance que l'oubli dans lequel il sombre peu à peu. Il faut dire que son aptitude à taquiner le goulot et son entêtement à utiliser des méthodes peu conventionnelles, lui ont sans doute empêchées d'avoir la carrière qu'il méritait. Malgré tout, quelques films sont bien là pour témoigner de son talent et de sa faculté à aborder des thèmes sociaux par la légèreté et l'humour, comme My Man Godfrey qui relie la vivacité de la screwball comedy à la veine sociale d’un Capra, établissant ainsi le portrait doux-amer d’une Amérique où l’oisiveté bourgeoise se célèbre tandis que le sort des pauvres se dégrade.


Une causticité annoncée clairement par le début du film, avec ce générique affichant des crédits par des néons clinquants, avant que la caméra ne glisse vers la réalité poisseuse des laissés-pour-compte au milieu des immondices. Le contraste entre ces deux mondes est saisissant : l’irresponsabilité des privilégiés symbolise le malaise d’un pays qui doit encore panser les plaies de la Grande Dépression. Partant du principe que l'humour est la politesse du désespoir, La Cava utilise le rire pour mieux ridiculiser le comportement des plus riches, faisant du clan des Bullock, où règnent le grotesque et l'infantilisme, l’archétype des élites dysfonctionnelles états-uniennes. Une famille que l’on serait tenté de rapprocher des joyeux dingos de You Can't Take it With you de Capra, sauf qu’ici les indigènes paraissent un peu plus dangereux...


Les Bullock semblent vivre dans un monde bien à eux, dans un univers parallèle bien imperméable au quotidien en crise du reste de la population. La mère est la superficialité incarnée, ses pensées étant uniquement tournées vers un pseudo artiste mais véritable gigolo qu'elle entretient. Les filles sont extravagantes bien comme il faut, capricieuses voire un peu toquées. Le père, lui, paraît résigné, payant les pots cassés de sa belle-famille. Pour passer le temps, notre joyeuse famille se lance dans une course aux objets insolites, et dont le plus insolite d’entre eux s’avère être un pauvre, évidemment ! Et c'est ainsi que le dénommé Godfrey se fait extirper de sa décharge pour se retrouver plein pied dans la folie de la haute société. L'arrivée de ce personnage au sein de cette famille un peu timbrée fait son effet. Car si notre homme est clochard, il s'avère être beaucoup plus malin que ses hôtes, et il va utiliser toute son intelligence et sa clairvoyance pour mettre tout ce petit monde dans sa poche. En le voyant ainsi procéder, on ne peut que penser à The Servant de Losey où le serviteur devient le maître de la demeure. Ici on est dans le registre de la comédie, on se doute rapidement que notre bonhomme va se servir de ses capacités pour venir en aide à ces drôles d'oiseaux ; d'ailleurs on finit par apprendre qu'il est lui aussi issu de la même classe et il va intervenir pour montrer la voie à ces « âmes égarées ». C'est d’ailleurs le principal reproche que l’on peut formuler à l'égard de La Cava, son film perd un peu vite sa verve satirique pour tomber dans un moralisme facile, faisant de la pauvreté le prérequis à la lucidité.


La Cava, toutefois, tire bien son épingle du jeu en utilisant la folie des Bullock pour multiplier les situations cocasses ou farfelues ; on s'amuse ainsi volontiers des frasques de ces derniers ou en voyant la mine effarée, mais toujours digne, de notre bon Godfrey. Le réalisateur maîtrise parfaitement la rythmique comique propre à la screwball comedy : on s'agite, on claque des portes et surtout on donne vie à des dialogues bigrement délectables. D'ailleurs ceux concernant notre artiste-gigolo sont particulièrement savoureux.


Mais tout cela ne serait pas grand-chose sans la prestation au diapason des différents acteurs : la rencontre entre le phrasé si particulier de William Powell et la volcanique Carole Lombard fait des étincelles, cristallisant autour d'eux suffisamment de charme et de fantaisie pour enrober de douceur les facéties de La Cava et emporter définitivement notre adhésion.

Procol-Harum
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le 25 sept. 2021

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