The Dreamers donne à voir et à vivre la révolution politique et culturelle de 1968 en France par son versant intimiste, loin de toute grandiloquence discursive ou de tout militantisme unilatéral. Bernardo Bertolucci se sert du contexte comme d’une baignoire dans laquelle bouillent des corps pleins de désirs et soucieux de mettre en pratique cette libération des mœurs revendiquée dans les théories, de s’adonner à la jouissance dans ce qu’elle peut avoir de plus trouble, affranchie de considérations morales qui gangrènent le désir en le filtrant par des normes bienpensantes. Néanmoins, le long métrage n’est pas une longue débauche de près de deux heures ; non, il a l’intelligence de fragiliser petit à petit son trio de personnages en introduisant la jalousie, l’envie de posséder autrui et de le ravir à l’autre ; l’intelligence de raccorder ses personnages à des réactions qui marcheraient contre l’idée de révolution sexuelle tant défendue, par l’intermédiaire d’un jeune étudiant américain qui brise l’union secrète du frère et de la sœur.


Le cinéaste semble jouer du tabou, qu’il pense peut-être comme le retour à un jardin d’Éden dans lequel gambadaient Adam et Ève ; dans ce cas, Matthew constituerait le fruit défendu que va croquer Isabelle, la conduisant à s’égarer dans des sorties à deux, sans Théo. La mise en scène travaille d’ailleurs cette séparation croissante par le biais des surfaces réfléchissantes, comme dans la salle de bain où Matthew vient compléter le plan effectué sur le frère et la sœur par son reflet dans le miroir. The Dreamers incarne donc deux échecs : celui de l’exportation du modèle révolutionnaire propre aux réalités politico-culturelles de la France – puisque l’Américain n’y adhère jamais et reste protégé lors de l’affrontement – ; celui d’une vie menée en retrait, dans cette prison faite de dédales labyrinthiques qu’est l’appartement parisien, vaste songe qui s’épuise à mesure qu’il s’étend, jusqu’à poser sur la table des mets brûlés ou des restes de nourriture ramassés dans les poubelles alentours. Le film est écartelé entre un désir d’ouverture à autrui et un désir de fermeture pour vivre entre-soi, qu’Isabelle résout en voulant se donner la mort par le gaz, avant de recevoir ce pavé dans la fenêtre qui permet de ventiler l’espace, de laisser entrer le politique afin d’offrir une cause plus grande et remédier à la stérilité de ces couples endormis.


En dépit de ses nombreuses répétitions qui, si elles installent une routine, finissent par lasser, le film de Bertolucci revisite avec intelligence et originalité la révolution sexuelle de 1968, fort de trois excellents acteurs.

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le 10 nov. 2020

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