Une odyssée moderne entre idéal absolu et impasse intérieure

Sean Penn filme Into the Wild comme un chant de liberté, mais ce chant porte une dissonance fondamentale : celle d’un jeune homme persuadé de fuir la corruption du monde alors qu’il est surtout en train d’échapper à ses propres fractures. Le film fascine précisément parce qu’il n’idéalise pas complètement son héros, tout en laissant au spectateur la tentation de le faire.

Le récit suit Christopher McCandless, diplômé brillant, refusant carrière, argent et injonctions familiales pour rejoindre une sorte d’Eden sauvage. Penn épouse son regard, avec une caméra lumineuse, presque mystique, où la nature devient la grande prêtresse d’un rite de passage. On sent la fascination du réalisateur pour cette quête d’absolu : paysages immenses, lumière rasante, musique d’Eddie Vedder qui pulse comme un pouls intérieur. Visuellement, c’est superbe.

Mais lorsque la beauté de l’image se superpose à la radicalité du choix, quelque chose se fissure. Le film montre les blessures familiales de McCandless sans jamais vraiment les analyser ; il montre la générosité des gens qu’il croise, sans explorer pourquoi il les quitte systématiquement. Le personnage, aussi charismatique soit-il, ne se résume pas à un pur idéaliste : il est aussi un jeune homme qui confond solitude et guérison, qui s’imagine que la nature réparera ce que la psyché refuse d’affronter.

Penn ne le condamne jamais, mais il laisse filtrer l’idée que l’aventure peut être une fuite. La fin tragique en témoigne : l’Alaska n’est pas un sanctuaire, c’est un espace indifférent, presque brutal, et la mort de McCandless ne ressemble ni à une épiphanie ni à un sacrifice. Plutôt à la collision entre un fantasme et le réel.

Ce qui demeure après le générique, c’est un mélange d’admiration et d’inconfort. Admiration pour la sincérité du voyage, pour la manière dont le film capte ce vertige qui pousse un esprit jeune à rêver d’absolu. Inconfort parce qu’il souligne la frontière ténue entre émancipation et autodestruction. Sean Penn signe ainsi un film profondément humain : beau, inspirant, mais traversé de contradictions, comme son héros. Une œuvre qui invite moins à suivre Christopher qu’à interroger ce qui, en chacun de nous, a un jour rêvé de disparaître pour renaître ailleurs.

Créée

le 30 nov. 2025

Critique lue 18 fois

Miss Chrysopée

Écrit par

Critique lue 18 fois

11

D'autres avis sur Into the Wild

Into the Wild

Into the Wild

le 22 nov. 2013

Nos vies, si chères

On se trompe beaucoup sur "Into the wild". On le prend souvent pour un beau film sur la nature, les grands espaces, le rejet du capitalisme. Ces ingrédients sont très présents, évidemment, et...

Into the Wild

Into the Wild

le 25 févr. 2013

Rather than money, than love, than faith, than fame, than fairness, give me truth

Chris est un égoïste. Chris est un gosse de riche prêt à tout pour assouvir ses désirs. Chris se croit sans doute très novateur, révolutionnaire, rebelle alors qu’il ne l’est pas. Chris est un...

Into the Wild

Into the Wild

le 7 mai 2010

Wild Wild Wesh

Oui, d'accord, c'était joli à regarder et la bande son est géniale. Mais damn, le personnage principal est le plus gros connard antipathique qui soit. Un type incapable de formuler une pensée...

Du même critique

Vol au-dessus d'un nid de coucou

Vol au-dessus d'un nid de coucou

il y a 5 jours

La dignité en résistance

Vol au-dessus d’un nid de coucou déploie sa tempête silencieuse avec une précision qui glace encore le regard près d’un demi-siècle après sa sortie. Forman n’offre pas un simple drame psychiatrique...

Into the Wild

Into the Wild

le 30 nov. 2025

Une odyssée moderne entre idéal absolu et impasse intérieure

Sean Penn filme Into the Wild comme un chant de liberté, mais ce chant porte une dissonance fondamentale : celle d’un jeune homme persuadé de fuir la corruption du monde alors qu’il est surtout en...

Le Petit Prince

Le Petit Prince

le 28 oct. 2025

Chef-d’œuvre intemporel

Le Petit Prince réussit le prodige de parler à l’enfant comme à l’adulte, de la même voix claire et mélancolique. Sous ses allures de conte poétique, Saint-Exupéry y déploie une véritable philosophie...