Le film s'échafaude sur une reconstitution à l'image d'un XVIIIème siècle recherché et panaché de couleurs : en témoignent les costumes garnis qui y sont représentés, dans un décor plus que réel car s'inscrivant dans l'unique château de Versailles. Cette fresque sur l'histoire riche de Jeanne Du Barry prend donc place dans une narration partielle et envoûtante, racontant sa vie et plus précisément une romance royale, critiquée et instable, aux touches d'humour et de tragédie. La pertinence des acteurs demeure juste, bien que beaucoup de personnes reprochent le jeu de Maïwenn : effectivement elle se met en valeur de jeux et d'attitudes mesquines, je la trouve parfaitement en adéquation avec son rôle et c'est perturbant car justement crédible, d'autant plus lorsqu'on sait qu'elle réalise. En parlant de réalisation, l'œuvre est sublime, elle est dotée de plans magnifiques usant merveilleusement des couleurs, des personnages et des paysages, la photographie de Laurent Dailland est plaisante. Le scénario est tout à fait logique dans ce que la réalisatrice souhaite montrer, une fresque de 3h aurait peut-être permis de relier des éléments politiques mais le sujet est bien centré sur la contesse et non la gestion du royaume par le roi. Enfin, pour accompagner la belle histoire, nous avons le droit à une musique épique, classique et captivante de Stephen Warbeck. C'est donc une œuvre que je conseille de voir en délaissant le fantôme de médiocrité qui semble intoxiquer Maïwenn pour ses réalisations, même les plus ambitieuses et captivantes pour un cinéma français avide de spectacles historiques. Je précise que je ne vois pas les fantômes contrairement à beaucoup. Ce film fut d'ailleurs une grande surprise car je m'attendais à une histoire ainsi qu'une réalisation minimales, bien sans plus, mais cela m'a totalement happé. Je vais donc commencer mon avis plus en détail en le saupoudrant d'apartés historiques intéressants à aborder pour le contexte du film bien que le film s'intéresse à la romance et non aux évènements politiques.


Un roi : Louis XV

Louis XV s'impose à la suite de l'absolutisme et la grandeur de Louis XIV comme une déliquescense du pouvoir, incarnant le vice et la déraison. Cette périclitation du prestige de la stature royale est parfaitement montrée dans le film et sublimement interprété par Johnny Depp. Le roi fut jugé de débauché au travers de caricatures et libelles qui contribuèrent à désacraliser la figure royale. L'opinion publique était largement défavorable, la libéralisation du commerce se soldait par un échec et des rumeurs étaient diffusées, le roi aurait fait avec les milices un "pacte de famines" : chercher à affamer les sujets en cachant les céréales. De plus, Louis XV divise l'Église en faisant la chasse aux jansénistes, il ne vivait pas non plus comme le "bon chrétien" ; allant chercher ses maîtresses en dehors de la noblesse et en pratiquant sa lubricité au Parc-aux-cerfs comme à Versailles. C'est un roi au goût du changement, mais pourtant mystérieusement attaché à l'impétuosité de Jeanne. Le côté sombre du roi montre sa frivolité avec d'autres concurrentes notamment lors de son moment mélancolique en lien avec le départ de sa fille Louise. Comme l'incarnait Louis XV, Johnny Depp apporte aussi du charisme à son personnage et prouve qu'il pouvait témoigner de son aura en simplement entrant par fracas dans une pièce, regarder les concernés sans un mot, puis ressortir férocement. Pour l'Union de la France et de l'Autriche mais également pour la reconnaissance de Du Barry, il joue de sa prestance :

- L'archiduchesse demande si vous viendrez pour sa prestation en bergère, explique Mercy.

- Non, répond durement Louis XV.

- Puis-je en connaître la raison ? demande Mercy.

- L'envie, riposte le roi complice avec Jeanne.

La remise en lumière : Jeanne Du Barry

Suite à ADN, largement blâmé, mais pourtant à revoir car il y réside de bonnes trouvailles cinématographiques, Maïwenn s'attele à bien plus grand. Effectivement, le défi est de taille pour reconstituer un film d'époque sous les traces de Barry Lyndon, tout en y appliquant une plus ample considération à Du Barry, à laquelle elle rattache un pans de sa vie personnelle. C'est une maîtresse de Louis XV dont je ne connaissais pas grand chose, ayant en mémoire la célèbre marquise de Pompadour, mais je suis ravi d'avoir suivi son parcours. Du Barry est une femme continuellement rieuse à en agacer plus d'un (dont les spectateurs, car c'est Maïwenn), elle vit le destin d'une "fille de rien" qui cherche à s'épanouir, notamment par le libertinage, dans un monde qui lui est hostile. La Jeanne Du Barry de Maïwenn est humaine, aux prétentions simples, bienveillante et agréable aux yeux de ceux qui l'apprécient. Aimante envers son cher fils Adolphe, soucieuse de son avenir, et dont sa mort la térassera avec également Jean Du Barry effondré, loin de son attitude droite et enjolivée de toujours, Melvil Poupaud l'interprète à merveille et nous livre une scène poignante. Jeanne invite le roi au-delà des protocoles, avec fierté, arrogance voire comme invitation à la... bagatelle. La première dame, la Favorite sur la sellette au moindre faux-pas et en concurrence avec ses rivales, elle est constamment épiée de regards tranchants. C'est une femme cultivée, démontrant son origine sociale de la roture, elle prône l'amour de l'art. Elle fait valser les usages, s'habille en rayures, en homme, moquée mais finalement imitée. Néanmoins, les railleries prennent de l'importance lors de l'arrivée de Marie-Antoinette, sur un plan somptueux d'une table ronde, elle se fait appeler monstrueusement comme la créature. La seule envie sera de recevoir les mots de Marie-Antoinette, laborieux mais énergisants pour une montée à grandes foulées dans ces monumentaux escaliers afin d'annoncer explosivement la nouvelle.

Le roi dira : "Elle est contente" auquel le Duc d'Aiguillon lui répondra ironiquement "Oui elle a l'air d'être contente".

La préoccupation d'une image dégradée

Le Parlement se soucis particulièrement de cette image que donne à voir le roi, pour donner un exemple : en 1757, le roi est victime d'un attentat à coup de canif de la part d'un domestique illuminé, nommé Damiens. Le roi est le premier à être convaincu que ce n'est pas grand chose au vu de la blessure bénigne et se sent prêt à accorder sa clémence. Toutefois, le Parlement s'inquiète, considère le crime de lése-majesté et lui applique un châtiment terrible : le supplice de Damiens qui choque les philosophes et l'opinion éclairé, remettant la responsabilité au roi. Une mort lente et cruelle n'était plus habituelle dans les mœurs d'une société confrontée aux idées de droit de l'Homme, on y voit d'ailleurs l'esprit protecteur de Jeanne vis-à-vis de sson cadeau, qui n'est autre qu'un humain. Pour revenir au supplice, bien que la femme et la fille du condamné soient bannies du Royaume, le roi leur accorde une pension pour leur épargner la misère. La préoccupation d'une image fragilisée est aussi nourrie ardemment par ses nombreuses relations dont celle avec Jeanne. À travers cette préoccupation, Benjamin Lavernhe joue parfaitement le rôle du fidèle valet La Borde, participant au bien du roi et de son entourage avec conviction, plus particulièrement dans la romance du film.


Amours de Cour/cœur

Cette relation entretient bon nombre de commérages en dehors et au sein de la Cour, on y voit un duc de Choiseul crispé et surtout les agacantes filles du roi qui humilient et déblatérent des méchancetés dans leur jeu caricatural : la discussion autour du domestique Zamor présente des réflexions nauséabondes et malvenues, car à priori ; "pas besoin d'être noble pour être à la Cour". On y détachera Louise ; la plus compréhensive, méthodique et la préférée du roi. La relation débute donc avec l'insistance du duc de Richelieu de trouver une nouvelle maîtresse au roi, il est d'ailleurs admirablement joué par un Pierre Richard surprenant, personnage profiteur et blagueur de ton coquin, avec l'esprit de l'époque. Cet amour royal prend rapidement effet avec l'entrepreneuse Jeanne, s'ensuivent une levée matinale des plus réalistes, bien rythmée et mise en scène, des pas à reculons ironiques, des embrassades, des regards insistants... À la mort de son fils, elle prend conscience que sa seule richesse réside dans son amour envers le roi, elle va le perpétuer en tant que Favorite jusqu'au lit de mort de son amour, roi maladif mais accompagné de la "créature", il est venu le temps du tutoiement.


Le conflit parlementaire : la fin

Dans la continuité de la guerre de Sept Ans, durant les années 1760, le vieux monarque est confronté à la question du déficit et est obligé de ménager ses parlements. S'il veut avoir une chance de faire passer des décisions difficiles en matière fiscale, il doit s'en faire bien voir car ils ont regagné de leurs prérogatives. Par les nombreuses défaveurs accolées au roi, les parlementaires croient que le temps est venu de récupérer leur droit de remontrance (refuser d'enregistrer un édit, une loi). Suite au refus du Parlement de Rennes d'enregistrer ses mesures financières, il va procéder à l'arrestation du procureur général du Parlement de Bretagne en 1765 se soldant par une solidarité entre les parlements. En 1771, le roi entreprend un coup de Majesté (le coup de Maupeou) afin de rétablir son pouvoir absolu en exilant le Parlement de Paris et en supprimant la vénalité des offices de justice. Il prétend ainsi de les nommer au nom du roi et de pouvoir les destituer sous une charge de fonctionnaires. Trois ans plus tard, effrayé de l'Enfer, il se confesse, renie le scandale et meurt en 1774 sous l'impopularité et une crise sociale. D'ailleurs si l'on m'avait dit que je verserai quelques larmes concernant la mort d'un roi, je n'y aurais pas cru. Son successeur le dauphin se précipite alors de rétablir les prérogatives des parlements, en se privant d'un levier de pouvoir majeur que Louis XV avait assumé pour conforter le pouvoir absolutiste : c'est la dégringolade royale. Le film l'évoque de façon intelligente, par un long plan mouvant sur le soleil absolutiste avec le narrateur qui nous raconte ces décapitations révolutionnaires.


Au moment de son exécution elle aurait dit, nous rapporte le narrateur : "Encore juste une minute, j'ai trop aimé la vie pour que l'on me l'enlève de cette façon".

Cubick
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le 18 mai 2023

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