"La folie d’une personne, n' est que la réalité d’une autre"

Joker dérange, dénote. Loin des grands Blockbusters américains qui caractérisent l’univers DC Comics - toujours plus sombre que celui de Marvel -, Joker s’offre presque l’appellation de cinéma d’auteur. Film à petit budget concentré sur la naissance du plus grand ennemi de Batman, Todd Phillips ne filme pas un super-vilain mais bien un anti-héros.
Ici, ni effets spéciaux ou combats héroïques, c’est le déclin de la folie urbaine qui occupe la tête d’affiche. Joker pourrait être l’origine de tous les Jokers, de celui de Tim Burton à celui de Christopher Nolan. Loin de ces grands films d’action sans pour autant les oublier, Joker livre le tableau nuancé d’un homme victime d’une société dystopique. 
A travers cette adaptation singulière, seul Joaquin Phoenix semble fait pour incarner Arthur Fleck. Peut-être car il y livre sa propre interprétation du Joker, faite de rires pathologiques et de danses squelettiques. Homme conditionné par une enfance difficile saupoudré d’une société élitiste, l’étonnant réalisateur des Very Bad Trip explique : « Nous ne faisons par un film sur le Joker, nous racontons l’histoire de quelqu’un qui devient le Joker ». Ainsi, Todd Phillips évoque des sujets qui froissent et qui gênent ; peut-on rire de la différence ? Doit-on traiter les individus différents différemment ? Avec l’envie minime d’inscrire ce film dans l’univers DC Comics, Phillips y rappel l’enjeu de Gotham City, une ville en pleine décadence où les riches bien ordonnés vont paisiblement au cinéma pendant que la foule s’appauvrit entre les rats et les ordures non ramassées. Certes, Gotham City est dramatisée, mais le contexte politique qui y est décrit peut s’apparenter à bien des évènements d’aujourd’hui. Ponctué de brèves scènes d’humour cynique, notre rire se transforme en rire nerveux, gêné, où on termine par sourire pour amoindrir la violence de la vie d’Arthur Fleck.
Joker nous noie ainsi dans une multitude d’émotions ; d’abord sous une empathie, une compréhension du solitaire et torturé Arthur qui essaie tant bien que mal d’être heureux dans un monde de souffrance et d’ignorance, puis dans une violence froide et irrévérencieuse, une satire noire d’un personnage psychopathe et schizophrène. Résultat, on ne sait plus où donner de la tête, on subit autant que l’on est choqué. Le film ouvre des portes ; Arthur Fleck est-il le fils de Thomas Wayne ? Puis les referme pour mieux les entrouvrir plus tard… 
Phillips construit la déchéance de son personnage vers le Joker par des scènes métaphoriques. Alors qu’on rencontre un Arthur Fleck portant toute la misère du monde, peinant à monter une montagne d’escalier, on le revoit les descendre en toute légèreté, cédant à sa folie pas de danse par pas de danse, sur fond de "Rock and Roll" de Gary Glitter.
 D’un côté tous les clichés du criminel fou sont réunis ; maltraitance, mère souffrante et omniprésente qui terminera par être un déclencheur de son passage à l’acte, victime des pires humiliations, lui donnant toutes les excuses sociales et psychologiques possibles pour être fou. Mais de l’autre, Joaquin Phoenix se transpose si violemment en cet homme chétif et pourtant puissant, incarnant le personnage tant psychologiquement que physiquement, aux origines à la fois extrêmes et floues. Phoenix se meut différemment et joue de son corps illustrant juste par sa prestance le passage d’Arthur Fleck au Joker. L’acteur passe d’un fragile et touchant Norman Bates à un Joker qui n’appartient qu’à lui, à la carrure charismatique. Il ne subit plus la violence, il la sème. 
C’est tout en lenteur et sobriété que Todd Phillips capte cette muse, offrant lors de quelques ralentis de magnifiques tableaux chaotiques. Mais c’est bien cette folie que le réalisateur filme, obligeant le spectateur à se poser la question : Qui est réellement fou dans ce drame ? Des indices viennent contredire les faits qu’avancent le film, comme si il fallait lire entre les lignes. Penny Fleck était-elle réellement folle ? Phillips donne soin au spectateur de choisir sa théorie sur son Joker en disposant quelques indices et en adoptant une narration circulaire. Ainsi, le réalisateur créer plusieurs versions plausibles, s’amusant à faire se perdre le spectateur… à en devenir fou. 
Contesté pour sa violence, cette singulière version du Joker le met en scène comme l’étincelle d’une révolution anarchico-marxiste, plaçant le personnage comme symbole des laissés-pour-compte, comme bouc émissaire des « cols blancs ». Joaquin Phoenix encaisse toute la violence de ce monde avant de l’exulter dans ce film ambitieux. Pour que Batman existe, que l’espoir existe, il faut que le chaos règne. Joker devient finalement le premier héros - anarchique - de Gotham, à l’image d’une ville fatiguée et désespérée.
Quelque part Joker pourrait très bien se prêter au jeu de la sociologie, illustrant les grandes théories, notamment celle du déterminisme social ou comment l’environnement social peut influencer les comportements sociaux. 
Joker nous éveille et nous enferme à la fois, il nous laisse ce choix de décider de la fin ou du commencement. Seuls les mots de Tim Burton pourraient conclure cette immersion dans cette psychose, car « la folie d’une personne, n'est que la réalité d’une autre ».

katell-lm
8
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le 28 oct. 2019

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