Réenchanter le dégoût de soi, convoquer les fantômes des ramoneurs de Mary Poppins, avoir une amourette avec Clara Luciani rencontrée fortuitement dans un bar... Sous les flocons artificiels et les guirlandes lumineuses des studios, où les ciels peuvent être rose et bleu électrique, fantaisie assumée pour dépression hivernale. Un écrin idéal pour la causticité d'un Diastème et le romantisme contrarié d'un Beaupain.
Piégés dans leurs cadres, pris dans leur boule à neige, nul n'évolue pourtant. Assister impuissant aux chorégraphies burlesques et aux jeux de lumière : la comédie musicale vectrice d'aliénation. Proposition à rebours du charme hollywoodien qui chantait liberté à chaque pas de danse. Ici, les artifices du théâtre filmés sont montrés à nu.
Le film pourrait n'être que ça, d'ailleurs : une pièce. Ce que la caméra saisit toutefois, ces expressions du regard, cette chaleur des voix, rien de mieux que l'écran. Mais l'austérité du dispositif perd en cours de route son essence populaire. On venait pour Minnelli, on se retrouve chez Resnais.
Allons-y donc pour Resnais. Mais déjà, le film se rêve chez Fellini. Et là, péché d'orgueil : ça ne fonctionne plus. Ce qui passait pour de l'économie de moyen trahit maintenant son manque de rythme. Le huis-clos propice à la mélancolie sent le renfermé. Les numéros tournent à vide : chaque personnage déroule ses états d'âme pour combler les creux d'une intrigue stagnante.
Et puis, forcément, on repense aux Chansons d'Amour. A quel point alors les chansons de Beaupain marquaient le métronome de cœurs brisés, d'un deuil inconsolable... Combien ces chansons savaient être au diapason d'un récit fuyant à la vitesse des sentiments. Tandis qu'ici... les mélodies sont reconnaissables, mais elles ne soutiennent plus aucune urgence, aucune nécessité. Ce sont des émois d'opérette.
Je dis "Action!" de tout mon cœur. Scène du baiser. Je dis "Moteur!" Je dis "Coupez!" Mon cœur n'y voit plus qu'un baiser de cinéma.
La caméra humblement immobile de Diastème n'a plus longtemps l'excuse du théâtre filmé quand il s'agit de faire vivre une chanson chorale ou d'accompagner les rythmes pop d'une infirmière déjantée. Les acteurs sont au supplice : toute l'énergie ne repose plus que sur eux, mais ils n'ont rien à jouer. C'est un festival de mines pénétrées, de regards vides et de bras ballants, corsetés par des orchestrations tyranniques.
Ce qui fait le plus de peine dans tout ça, c'est qu'on a oublié Demy. Honoré payait son tribu à Lola dans 17 fois Cécile Cassard et il n'est pas interdit de penser que Diastème à sa suite voue la même déférence. Alors pourquoi n'en reste-t-il plus rien? Repenser aux Parapluies ici aurait permis d'affiner le cadrage, de valoriser les visages, de faire danser la caméra en travellings avant, arrière et latéraux... Ce n'est pas qu'on propose autre chose ici : c'est juste qu'on a oublié (la scène post-générique est-elle un mea culpa?). Il me semble que Legrand composait alors d'après la mise en scène, tandis qu'il semble que ce soit au contraire ici la musique qui dicte à tous sa Loi.
Aux heures creuses, quelques saillies : du feminisme anachronique, un hommage aux salles de cinéma perdues sur les Champs-Elysées, une boutade sur les portables... Puis dans une salle vide aux puissants projecteurs, habillée de lumière, Clara Luciani chante. Et le temps d'une scène, pour le plaisir des yeux, même si ce n'est qu'une chanson, même si le film s'effiloche, le plaisir est bien là.
Mais la salle reste vide. Le public s'est perdu. Et tous les dénouements se passent dans des toilettes. Ce devait être une mise en scène musicale de la honte de soi, mais ça s'est dilué dans un curieux mélange entre aveux d'impuissance et glamour muséal.