La critique contient quelques spoilers mais pas majeurs (sauf annoncés).


Voir revenir Gareth Edwards aussi vite, 2 ans seulement après le malheureux non succès de The Creator au box office, et qui plus est dans une saga qui n'est pas à son meilleur moment (et pour laquelle je n'ai, je dois l'avouer, que très peu d'attache) avait de quoi m'inquiéter. Celui que je tient pour le meilleur réalisateur de blockbuster de sa génération avait-il pris ce projet simplement pour se "relancer" ? Pouvait-il encore imposer son style dans une production d'une telle ampleur ? Quand bien même il y parviendrait, la franchise Jurassic World n'a-t-elle pas perdu tout intérêt ?


Les 90 premières secondes à peine ont suffit à dissiper mes doutes sur la capacité d'Edwards à laisser parler son style :

- Les plans sur la faune locale, plus nombreux et nettement mieux cadrés que la moyenne hollywoodienne.

- Le choix simple mais néanmoins très pertinent des panneaux noirs explicatifs, évitant les dialogues douteux entre personnages dont on comprends vite qu'ils s'adressent en réalité aux spectateurs.

- L'arrivée de l'hélicoptère, d'abord par le son et les mouvements de feuillages qu'il provoque, puis la caméra qui le suit pour nous dévoiler en plan large l'île et le laboratoire.


La séquence qui suit, menant à la destruction du laboratoire et la libération des dinosaures mutants, rappelle fortement les films précédents du réalisateur (le laboratoire aux salles de plus en plus "secrètes" de The Creator, les scientifiques dramatiquement séparés par une porte fermée de Godzilla), peut-être un peu trop même, mais cela nous confirme au moins qui à les commandes. Elle permet aussi malgré tout un jeu intéressant sur le trajet du déchet qui mènera à la catastrophe et révèlera progressivement le mutant final. Cet insistance sur des éléments précis de l'univers fonctionne merveilleusement pour renforcer celui-ci, on se rappelle des nombreux plans large de paysages naturels implémentés de structures futuristes dans The Creator, lesquels avaient la même fonction de densification de l'univers, tout en ayant un apport esthétique certain et ce, sans devoir exploser le budget effets spéciaux ni à baisser la qualité de ceux-ci, grâce leurs fixité/durée courte.


Revenons à la franchise: La saga Jurassic Park/World est unanimement reconnue comme en déclin bien entamé. Elle qui est l'une des saga les plus méta, tant son sujet correspond à sa production, le sait bien. Le film ne s'en cache donc pas, se déroulant dans un monde où les dinosaures ont aussi perdu de leurs intérêts auprès du grand public. Loin de la démesure de la saga world, d'abord par son parc immense ultra moderne, puis en tentant de déplacer les dinosaures en villes urbaines (sans grand succès), l'intrigue se redéroule ici sur une île isolée au large de l'équateur munie de complexes scientifiques. On peut évidemment comprendre une certaine lassitude vis-à-vis de ce genre de décors, déjà lieu de climax dans Jurassic World: Dominion
(Trevorrow, 2022) alors que ce dernier semblait proposer justement de s'éloigner de se modèle dans sa promotion, pour Rebirth au moins ce n'est pas une surprise. Si je comprends la lassitude, j'ai choisit d'en voir le positif, cette fois au moins c'est filmé par Edwards. Le scenario ne provient pas de l'anglais mais de David Koepp, déjà à l'ouvrage sur le premier Jurassic Park (Spielberg, 1993) et il correspond plutôt bien à la mise en scène du réalisateur. L'idée très simple de récupérer de l'ADN sur 3 dinosaures géant dans 3 biomes différents (mer, terre, air) permet au prodige du gigantisme de laisser parler ses talents. La scène du Mosasaure, sans être révolutionnaire, permet tout de même de jouer sur le danger caché du dinosaure malgré son immense taille, la vitesse et l'interaction entre le bateau et la nature environnante. Celle du Titanosaure rappelle évidemment le premier film du réalisateur (Monster, 2010), jouant cette fois non-pas sur un rapport antagoniste entre l'équipe d'extraction et la créature, mais sur la beauté pacifique de cette dernière (s'il y avait bien une personne à choisir pour filmer une espèce nommée le "titanosaure", c'est bien le natif de Nuneaton). Enfin, celle du ptérodactyle, joue sur la verticalité de la falaise (en opposition évidemment avec l'horizontalité de la mer lors de la première extraction). Le dénouement de cette scène à un aspect peu réaliste, la chute du paléontologue ne semblant pas pouvoir avoir d'autres issues que la mort, mais il faut surtout la voir comme un gag burlesque, les autres membres de l'équipe ainsi que le parachute arrivant tous dans un timing assez comique. Concernant les scènes où la famille Delgado est en prise avec les différents dinosaures, il est intéressant de constater le retour de la saga à un jeu de survie plus que de combat (le personnage de Chris Pratt maniait bien plus les armes que les héros de la saga originale). Edwards s'en donne à cœur joie sur la profondeur de champ, souvent il y a 2 voir 3 éléments à observer dans l'image, chacun à une distance différente du spectateur (la scène du T-Rex dormant et du bateau gonflable). Le jeu sur le son et le silence, certes parfois un peu absurde avec des animaux d'une telle taille mais faisant partie des codes de la saga, est lui aussi assez ludique, améliorant rythme d'action et ambiance globale.


Si à peine le film sorti, déjà pullulaient des critiques sur le rythme, je dois bien dire que c'est justement un des points où Edwards se démarque. La séquence qui nous introduit à la famille Delgado a certes de quoi désarçonner puisqu'elle survient presque par hasard et s'étire très longuement avant de mener à un moment d'action, comme si un deuxième film venait de commencer. Ce temps accordé aux personnages est tout à fait bienvenu car il empêche les stéréotypes archétypaux. C'est aussi le cas pour l'équipe d'extraction: Le personnage de Zora Hearston (Scarlett Johansson) est introduit de manière "surhumaine" en apparaissant dans la voiture de Krebs (Rupert Friend) sans qu'il le remarque, cliché typique des personnages liés à l'espionnage où à l'armée, lesquels pourraient n'être qu'amplifiés par les quelques révélations sur ses "faiblesses" (PTSD, etc.). Hors ici il n'est pas question d'un simple personnage archétypal "badass" dont "le passé révèlerait des failles expliquant son attitude implacable", ces enjeux sont joués dans une dimension bien plus humaine. On le voit dans la scène de magouille avec Kincaid (Mahershala Ali) où les deux, pas vraiment convaincants, obtiennent leurs gains plutôt par l'autodérision que part une capacité de mensonge/persuasion digne des plus grands manipulateurs. On retrouve cela quelques instants plus tard dans la scène où "Z" (surnom du personnage de Johansson) montre au Dr Loomis (Jonathan Bailey) la difficulté du tir à effectuer sur le Mausosaure (que le Docteur estime à sa portée): ce n'est pas dans une dynamique de "qui à la plus grosse" que se déroule le dialogue, plutôt dans un régime certes taquin mais néanmoins bienveillant. On peut d'ailleurs noter que la relation entre ces 2 personnages est vite complice mais sans que cela soit pour des raisons romantiques, chose que l'on ne perçoit pas tout de suite car on pouvait croire que le film allait prendre la direction de l'histoire d'amour, mais cela surtout par habitude du traitement des relations hommes-femmes au cinéma. Spielberg serait-il intervenu, comme pour Twisters (Chung, 2024), afin d'annuler un baiser final entre les deux protagonistes, notamment pour éviter l'aspect "case cochée" d'une relation hétérosexuelle typique des films hollywoodiens, qui plus est de cette ampleur économique (ou alors par simple puritanisme) ? Peu importe, car le film n'a pas leurs relation comme ligne centrale se déroulant dans un cadre de mission d'extraction d'ADN de dinosaures. A l'inverse donc de Twisters mentionné plus tôt, où l'univers de la chasse au tornade semblait n'être qu'un décors, l'histoire étant surtout mue par l'évolution psychologique des personnages et de leur relation entre eux, celle-ci bien que sans embrassade ayant tout les signes d'un rapport romantique. Pour Jurassic World: Rebirth c'est bien la mission qui est centrale, les personnages évoluent mais uniquement en conséquence/réaction de celle-ci. Ainsi, le rapport entre Zora et Loomis relève bien plus de l'amitié car son apparition est justement favorisée par ce contexte de mission en groupe à haut risque, l'amitié ayant moins de risques de déstabiliser un groupe qu'une relation amoureuse, et permet même justement de solidifier celui-ci. Les deux personnages semblent se croiser à des moments semblable de leurs vies, bien que celles-ci fussent tout à fait différentes, et leurs échanges ont une utilité immédiate sur leurs états psychologiques. Ils n'interagissent pas dans le but de parvenir à un rapport romantique où sexuel qui pourrait lui les aider, non, c'est bien l'interaction en elle même qui est entre aidante, que ce soit par le contenu philosophique/politique de leurs discussions où par l'humour très présent dans celles-ci. Si pour Twisters la recommandation de Spielberg apparaissait finalement comme une "case cochée de la case non cochée", en accord avec une certaine lassitude d'un certain publique (que j'ai du mal à mesurer exactement) vis-à-vis de l'aspect vide de ces relations hétéros très scriptée, ici le film ne se contente pas juste d'omettre le baiser entre les personnages, mais propose une véritable relation d'amitié entre une femme et un homme qui, bien que ce ne soit pas le cœur du film, est d'une rareté confondante dans la production cinématographique grand publique (voir la production artistique globale)…


L'absence de grosse dispute au sein du groupe est aussi assez inédite, s'il y a évidemment des tensions, notamment avec Krebs, le film nous épargne une énième scène "d'explosion" où un personnage ferait une diatribe à un autre pour lui révéler ses 4 vérités (par exemple Grant à Billy dans Jurassic Park III), ce qui aurait pu être le cas entre Reuben et Xavier. La gestion du conflit dans le film est plutôt réaliste, les personnages ont suffisamment à faire avec les dinosaures pour trop s'enfoncer dans des disputes internes. Cela rejoint la dynamique professionnelle mais malgré tout amicale qui émane du groupe, loin encore une fois des règles de scénarios habituelles de ce genre de film. Même le "grand méchant final" (celui humain du moins) dont on se doute dès le début que ses intérêts vont à un moment où l'autre aller à l'encontre de ceux des autres, n'a pas de scène caricaturale où il dévoilerait sa folie, le changement se fait progressivement et de manière assez limpide menant à une opposition qui n'as pas besoin d'exacerber l'animosité entre ceux qui s'opposent. Là encore, pas d'archétypes de fonctions classiques, tout les personnages sont avant tout humains et par conséquents inévitablement nuancés, changeants, parfois forts, parfois faillibles.


Le film n'est pas sans défauts, le personnage de Xavier provoque des scènes voulues comique parfois un peu lourde (le film contient malgré tout quelques touches d'humour assez bien dosée, comme la manière dont souhaite mourir le Dr Loomis), le climax final est peut-être légèrement trop long (bien qu'il permette de superbes plans de nuit brumeuse sur laboratoire abandonné) et *Spoiler* la survie de Duncan à la fin laisse un peu perplexe (comme celle de Billy dans Jurassic Park III) là ou la mort des deux personnages francophones était un peu trop prévisible.


Jurassic World: Rebirth est donc pour moi assez avant-gardiste, non pas par son univers, mais par ses personnages et les dynamiques qui s'y jouent entre eux. L'action n'est pas révolutionnaire, mais elle est plus maline que la moyenne, tout comme la photographie et les effets spéciaux, qui comme souvent avec notre ami Edwards sont dans le haut du panier de la production blockbusterienne.

Créée

le 4 juil. 2025

Modifiée

le 4 juil. 2025

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