Plein de sentiments mitigés en sortant de la séance.
Le scénario du film tient une ligne narrative d'une épure totale (une chasse aux Pokémon pour récupérer des échantillons illégaux de sang à l'attention de l'industrie pharmaceutique), ce que j'aime beaucoup, vraiment virez nous ces histoires faussement alambiquées nous faisant croire qu'on est intelligent alors qu'on est juste venu voir des gros monstres se taper dessus. L'exposition est balancée en même pas 10 minutes (merci là encore), et pourtant il y a une composante qui dissone constamment pour moi dans cette écriture et je pense avoir mis le doigt dessus : c'est une écriture de jeux vidéo.
On nous balance un enjeu suffisamment simpliste en 3 étapes pour justifier l'approche des ennemis et ensuite le reste est construit par boucles de paliers/accomplissements où l'objet de l'intrigue est juste de découvrir le "boss" suivant, ce qui donne une sensation d'à-coups pas très agréable à l'enchaînement des péripéties et quelque chose de très fabriquée et inorganique à l’ensemble.
Autre point, et non des moindres, parmi les choses qui me chagrinent mais je me dis que là, en 2025, on devrait être arrivé au pinacle des effets spéciaux numériques et pourtant rien à faire je ne crois pas plus à la matérialité des monstres qui me sont présentés et des enjeux qui leurs sont associés que le Jurassic World originel sorti il y a maintenant 10 ans. Je me demande si l'on est pas simplement dans une impasse esthétique à se contraindre d'utiliser ces technologies visiblement aussi coûteuses que les effets pratiques (ce n'est que mon avis de béotien sur le sujet mais je ne constate pas d'inflation de budget spécifiquement liée à l'utilisation d'une technique plutôt qu'une autre sur les 15 dernières années alors qu'elles font souvent l'objet de revendications promotionnelle pour l'une). Il y a quelques jours je voyais F1 - Le Film et bien que l'on ne puisse attribuer à aucun de ces deux projets un scénario d'une singularité passionnante (euphémisme), il y en a un des deux qui me fait réellement sentir le danger visant l'intégrité physique de ses personnages. Il y a quelque chose de déroutant à cela car d'un côté on a à faire à un pur produit de supermarché marketé et emballé pour nous vendre la marque Formule 1 et de l'autre un film de monstre avec des soupçons de velléités horrifiques.
C'est d'autant plus frustrant qu'à l'instar de son The Creator, Gareth Edwards sait convoquer des imageries spécifiques au genre qu'il travaille. J'ai retrouvé dans Jurassic World des compositions de plans qui sont allées gratter très loin dans des imaginaires à la Conan Doyle et des couleurs travaillant les tons légèrement délavés au pastel du paléoartiste Charles R. Knight. Il y a du métier dans les recherches préparatoires ainsi que leur exécution et c'est tout à son honneur d'avoir posé sa propre patte sur le projet au lieu d'imiter celle de ses prédécesseurs, l'oncle Steven en tête.
Les ayatollahs de la cohérence seront ravis de voir un scientifique au profil enfin réaliste (ayant à titre personnel un bout d'orteil dans le milieu) à savoir le post doc blanc célibataire dans la trentaine aux valeurs humanistes et anticapitalistes (il ne lui manque plus que les cheveux longs mais nous ne sommes pas tous égaux face aux affres capillaires du temps qui passe bien que la toison de celui-ci semble se tenir à merveille). L'amateur de biologie en moi s'est retrouvé à faire un "hey, mais il a raison" lorsqu'il s'est mis à parler de mutualisme comportemental entre deux espèces et ses éloges de l'open source me sont venues droit au cœur mais clairement ce n'est pas un bon message qui fait un bon film. Aussi il va falloir que je m'attarde à faire un classement (très spécifique certes) des meilleurs réactions de personnage lorsqu'on leur dévoile des idées à caractère collectiviste car la révélation quasi divine jouée par Scarlett Johansson est pas loin d'être aussi hilarante que celle de George Clooney quand on lui explique le communisme dans le Avé, César ! des frères Coen.
Une dernière chose certainement anecdotique à mettre au compte des bonnes nouvelles mais j'ai l'impression qu'on est de plus en plus en train d’abandonner cette sale habitude de la blagounette systématique visant à désamorcer chaque moment dramatique (attention on en trouve quand même mais elles font moins tâches, voir servent de transition plutôt bien sentie entre les séquences) mais ne voyant pas assez de ce type de production chaque année je ne rends pas compte si il s'agit d'un cas isolé ou d'une tendance de fond.
Évidemment on ne peut passer outre les appels du pied aux fans des 2 premiers Jurassic Park au gré des plans ou séquences leurs rendant hommage. Disons que j'ai passé l'âge de m'agacer pour ça mais ça reste toujours des moments pénibles où la mise en scène, pour le peu d'instants où elle cherche à nous immerger dans une narration visuelle, vient nous en détacher et nous rappeler qu'il faut bien vendre des places de cinéma à toutes les générations y compris aux ados quarantenaires.
En forçant un peu ce ne serait pas scandaleux de le considérer comme le meilleur de la série des reboots lancés en 2015 (malgré quelques fulgurances bien senties dans le Bayona), et pourquoi pas en étendant jusqu'à la purge qu'est Jurassic Park III. C'est particulièrement triste de chercher la qualité par l'unique nivelage par le bas alors que d'autres sagas (je pense à Mad Max ou Alien en excluant justement Romulus qui recoupe les mêmes défauts) tentent à chaque épisode de faire bouger les lignes de leur propre mythologie au lieu de se baigner dans la même fange depuis maintenant 32 ans.