Cimino ou le talent sous-estimé

L'Année du Dragon est un film extraordinaire, qui ne ressemble à aucun autre film malgré son genre bien ancré, on a là un film à la fois brutal et sombre, bien plus intelligent qu'il ne le laisse paraître, un véritable polar lyrique très beau sur le plan esthétique et profond.

Des scènes vraiment spectaculaires, incroyable mise en scène, que ce soit les scènes de foules ou les scènes de fusillades dont la violence des coups de feu est stupéfiante, ou bien les scènes de dialogue notamment entre Stanley White, joué par l'excellent Mickey Rourke, et sa femme ou sa fiancée, qui tentent tant bien que mal de maintenir leur couple (leur dernière scène est vraiment touchante) ainsi que la relation entre Stanley et la journaliste Tracy Tzu.

Les accusations de racisme à l'encontre de ce film sont infondées quand on prends le temps de bien l'analyser, la communauté asiatique est racketée par des gangsters chinois qui justifient leurs accords malhonnêtes (avec la police notamment) par des "traditions millénaires" d'échanges commerciaux. Tout d'abord le spectateur comprend aisément qu'il s'agit d'explications bancales qui ne sont pas le reflet des opinions de l'auteur des répliques mais on se souvient également du speech de Herbert sur les apports culturels et commerciaux de la Chine à l'Occident et la construction des USA, qui rend un peu justice à cette large construction qu'est l'Amérique du Nord.
L'autre protagoniste, la journaliste asiatique, Tracy Tzu, qui flirte avec le personnage de Stanley White, flic polonais ayant américanisé son nom, véritable patriote américain et vétéran du Vietnam complètement allumé (peut-être une influence de Oliver Stone qui est au scénario), qui peut sembler raciste, mais qui n'aime simplement pas les gens qui comme lui, sont d'origines étrangères et ne respectent pas les lois du "pays d'accueil". Les Chinois, selon White, ne peuvent pas ici se prévaloir de leurs traditions millénaires pour échapper à la loi américaine, la Chine milénaire ne vaut pas pour les USA, ici on intègre les deux décennies d'existence des USA.

Évidemment, les thématiques que choisit Michael Cimino dans ses films ne sont pas simples à traiter et elles suscitent sans doute parfois l’ambiguïté, mais il le fait toujours de manière très intelligente quitte à susciter la polémique.
Comme dans le génialissime La Porte du Paradis (où il a été accusé d'être communiste) ou Deer Hunter, Michael Cimino continue d'interroger l'histoire des États-Unis et son identité par le biais de personnages brios.

Couplé à cela une dualité entre deux protagonistes, Stanley White et Joey Tai joué par un John Lone glaçant et séduisant, souhaitant rompre avec les traditions et souhaitant agir plus fermement contre le "parlementarisme" des anciens, c'est un homme d'action, il est le miroir de Stan en plus pragmatique, ce sont deux oppositions tenaces et captivantes. Tel le plus beau du western, avec une scène finale très forte, L'Année du Dragon nous scotche du début à la fin, avec un Chinatown presque entièrement reconstitué en studio.

Cimino est décidément un grand cinéaste, je suis déçu qu'il n'ai pas pu agrandir sa filmographie, que Hollywood l'ai mis autant à l'écart, je me rends compte 1 an après sa mort en redécouvrant sa filmographie, à quel point il était génial.