Docteur Gondry et Mister Vian
«N’importe quoi sauf la vérité. Il n’y a que ça qui ne se vend pas.»
Boris Vian
Parmi les réalisateurs français, il en est un des plus inventifs et surtout des plus plastiques. Ce cinéaste, c’est Michel Gondry. Il l’a prouvé à maintes reprises au cinéma, comme dans la publicité ou les clips. Le créateur de l’univers visuel de la fantasque chanteuse Björk, réalisateur de La science des rêves (2006), summum de la poésie et de l’univers enfantin, nous emmène encore une fois dans son monde. Il emprunte, cette fois, l’univers d’un autre. Son nouveau rêve cinématographique s’incarne dans L’écume des jours, le célèbre roman de Boris Vian. Qui mieux que Michel Gondry pouvait mettre en images l’univers loufoque et poétique de Boris Vian, un des plus grands auteurs français ?
Nous plongeons donc dans la vie de Colin, jeune homme riche, et de son ami Chick, fanatique de Jean-Sol Partre. Au travers de l’amour de Colin et Chloé, de Chick et Alise et celui de Nicolas, cuisinier de Colin, et Isis, nous découvrons une société où des nénuphars envahissent des poumons, où travailler est une activité honteuse et dont le jazz de Duke Ellington en est la bande sonore.
Ce qui étonne à première vue, c’est le casting de vedettes que l’on voit beaucoup dans la sphère cinéma française : Romain Duris (Colin), Audrey Tautou (Chloé), couple de fiction récurrent chez Cédric Klapish, et les acteurs qui ne quittent plus l’écran Omar Sy (Nicolas), Gad Elmaleh (Chick) et la nouvelle venue Charlotte Lebon (Isis, dont le rire forcé tapera vite sur les nerfs). Malgré cette surenchère d’acteurs, Michel Gondry (qui se paye le luxe d’un caméo) retrouve avec ce film ses effets en carton, ses petits trucs manuels que l’on avait déjà pu rencontré dans La science des rêves ou encore dans le très drôle Soyez sympas, rembobinez. Dans celui-ci, il était question de refaire les plus grands succès du cinéma avec les moyens du bord, L’écume des jours, lui, retravaille un succès littéraire unique.
La première moitié du film offre un florilège de petits trucages à la Gondry : une sonnette avec des pattes qui se met à courir partout, Jean-Sol Partre faisant un discours dans une réplique géante de sa pipe, une anguille sortant d’un robinet ou encore l’acteur Sacha Gordo déguisé en souris que l’on voit parfois en simple projection. Certains trouveront sans doute qu’ils en fait trop mais comment le lui reprocher ? Rien n’est gratuit et ces effets ne se résument pas à un simple exercice de style. Chaque plan fait apparaître un ou deux effets comme chaque page de la fable surréaliste de Vian nous apprend un nouveau mot inventé par l’auteur ou une nouvelle pratique. Boris Vian nous montre que l’on peut percer sa baignoire pour la vider, qu’un pianocktail prépare des cocktails quand on joue des morceaux dessus, que l’on peut danser le biglemoi etc... Vous l’aurez compris, un univers à part entière, déjà très visuel, était à faire vivre. Le réalisateur a su l’incarner et nous fait sourire et pleurer comme des enfants.
Par le refus presque systématique des fonds verts, Michel Gondry nous propose un cinéma hors du temps et hors des âges qui s’accorde à merveille avec Boris Vian. A l’heure où tous les effets sont numériques et réalisés en post-production, le réalisateur fait le pari de faire des effets voyants, du «fait maison» auquel il nous a déjà habitué. Les décors sont projetés, une plaque avec un escalier en trompe-l’oeil rend l’escalier glissant, l’intérieur du corps est fait en pelote de laine. Les effets oscillent sur une corde raide, toujours à la limite de montrer les ficelles, les secrets de fabrication. Toutefois, nous nous laissons à chaque fois piéger dans l’illusion.
Certaines fantaisies pourront rappeler les heureuses années d’un Tim Burton ingénieux et audacieux (avant le retournement de veste vers le tout numérique pour Alice aux pays des merveilles) dans notamment Beetlejuice (1988) avec ses effets «cheap», qui font sourire mais émerveillent. Il fait bon de revoir ces techniques au cinéma, de pouvoir rêver avec peu de moyens et une bonne dose de patience. En somme, Michel Gondry révèle une fois de plus qu’il est le Mac Gyver du cinéma. Donnez lui un bout de carton, une pelote de laine, du fil et quelques agrafes et il vous créera l’univers de votre enfance. Nous sommes emmenés dans un monde qui ressemble aux nôtres en apparence mais dont on ne connaît pas tous les codes tout comme dans le roman. En cela, le pari est réussi.
Comme pour rendre hommage à Boris Vian et surtout appuyer sur le côté adaptation, L’écume des jours laisse voir à plusieurs reprises l’écriture du roman. Sans trahir l’esprit poétique de l’histoire, Michel Gondry a su intégrer des scènes où l’on voit des gens écrire à la chaîne, sur des machines à écrire, les mots de Boris Vian. Le film débute par ces mots «Colin terminait sa toilette», première phrase du roman. Le récit est donc lancé. Il semble vouloir nous dire que tout ce que nous voyons à l’écran se trouve dans les pages.
D’ailleurs, dans un plan la couverture du livre sert de transition avec l’histoire. La couverture ressemble à une version miniature de la porte de l’appartement de Colin. Dans une scène poignante, Colin lui-même viendra dans cette même pièce pour écrire une part de l’histoire qu’il voudrait voir s’améliorer. Nous pouvons voir, par ailleurs, qu’il y est chassé. Il n’y a pas sa place. On le remet au statut de simple personnage sans prise sur les événements. Nous assistons à une belle mise en abîme du travail d’adaptation.
L’univers tangue entre un Michel Gondry qui ose prendre des libertés et s’approprier l’histoire et un Boris Vian omniprésent à travers des machines à écrire, des billets de doublezons à son effigie. La course pour le mariage où Alise déclare «si on gagne on change le cours de l’histoire et on devient les héros», montre que dans une adaptation tout peut, quand même, être possible. D’un autre côté, le réalisateur renvoit constamment à l’oeuvre, comme pour ne pas perdre les lecteurs ou s’excuser de rendre sienne cette histoire. Ce qui peut être assez déroutant.
Sous toute cette fantaisie apparente, se cache des côtés sombres, d’une part une critique du monde du travail que l’auteur, lui-même n’appréciait pas. Boris Vian, ingénieur au moment de l’écriture du roman, écrivait au verso des formulaires de l’usine, et ne travaillait que pour lui, tout comme Chick regarde des discours de Jean-Sol Partre (incroyablement représenté) à l’usine et laisse mourir quatre hommes. D’autre part derrière la joie, apparaît une histoire d’une tristesse incroyable que Michel Gondry retranscrit sensiblement dans des images allant de la couleur flamboyante au noir et blanc le plus émouvant. Ce changement est imperceptible, subtile et poétique, le noir et blanc ne nous saute aux yeux qu’à la toute fin et réussit à nous surprendre. Tous les moyens esthétiques sont mis au service de l’histoire.
Au travers de son univers propre, le réalisateur arrive à nous emmener dans l’univers de Boris Vian, à le faire découvrir ou redécouvrir sans jamais le trahir. Il montre qu’il reste un OVNI dans le cinéma français où des réalisateurs plastiques percent depuis peu à l’instar de Joan Sfar (Gainsbourg, vie héroïque, Le chat du rabin). Une similitude avec le biopic sur Gainsbourg est d’ailleurs visible dans L’écume des jours, avec une ombre géante et en relief suivant Colin. Marjane Satrapi (Persepolis, Poulet aux prunes) rejoint également le cercle de ses réalisateurs qui se cassent la tête pour proposer un savoir faire manuel et poétique et passent par l’animation. Michel Gondry reste maître en la matière et montre qu’il n’a pas peur de rester fidèle à lui-même, qu’importe le sujet. Docteur Gondry et Mister Vian, duo gagnant.
Morgane Jeannesson