Chez n’importe quel cinéaste, il y a toujours une peur qui revient irrémédiablement. Une peur qui ne peut s’effacer et à laquelle tout cinéaste prometteur a dû faire face un jour ou l’autre, quitte à se prendre les pieds dans le tapis. Cette épreuve, c’est le second long-métrage. En effet, après un premier succès, il est toujours compliqué de confirmer l’essai et beaucoup s’y sont justement pris les pieds.
Suite à la très bonne surprise que fut Monsieur & Madame Adelman, comédie rafraîchissante dont la justesse et la vigueur rappelaient même le Woody Allen des premiers temps, Nicolas Bedos devait nécessairement opérer avec les lourdes attentes qui reposaient sur ses épaules. Deux ans après, le réalisateur nous revient donc avec La Belle Époque, dont le synopsis faisait déjà saliver les amateurs de son précédent travail.


Personnages désabusés, écriture « politiquement incorrecte » et goût pour la nostalgie seront donc la colonne vertébrale de ce nouveau film où Bedos semble marcher dans les mêmes pas que Monsieur & Madame Adelman, en abandonnant toutefois le classicisme du premier au profit d’un high-concept très attirant. Hélas, ambition rime aussi avec déception et ceux-ci constitueront les deux maîtres-mots d’un long-métrage aussi audacieux qu’insuffisant.


Avec La Belle Époque, Bedos décide déjà de remettre en perspective son art et de questionner son rôle de réalisateur, via l’élément majeur de ce second film. Ainsi, lorsque Antoine (Guillaume Canet) propose à Victor (Daniel Auteuil) de revivre l’époque de son choix grâce à une entreprise mêlant artifices théâtraux et reconstitution historique, le cinéaste vient se représenter sous les traits d’Antoine, metteur en scène extrêmement méticuleux. Cette simple idée apporte alors une dimension tout à fait passionnante, dans laquelle Bedos joue régulièrement avec les codes du cinéma et de la mise en scène.


Une mesure qui prend tout son sens et sa puissance lors d’une fabuleuse séquence dans laquelle Doria Tillier et Daniel Auteuil brisent littéralement les quatrièmes murs et traversent plusieurs décors aussi divers que variés.


A l’instar du Once Upon A Time… In Hollywood de Quentin Tarantino, La Belle Époque se présente donc comme une lettre d’amour au septième art, de ses artisans à ses spectateurs, mais aussi aux années 70.
Cet amour est alors sublimement dépeint à l’écran par l’énergie communicative de Bedos, faisant pirouetter sa caméra dans des élans de mise en scène lyrique qui rappellent le récent La La Land de Damien Chazelle.


Cependant, le réalisateur a beau donner de toute sa volonté sur la forme, il peine malheureusement à imposer la même excellence, au niveau du fond. Car, là où sa précédente œuvre mettant en avant une intrigue résolument traditionnelle, mais soignée, La Belle Époque gagne en originalité ce qu’il perd en qualité d’écriture. De ce fait, quand Monsieur & Madame Adelman privilégiait une épure scénaristique pour mieux se concentrer sur son couple principal, la nouvelle œuvre se perd dans un mélange d’humour trop abondant et de sous-intrigues, qui restent souvent en surface.


La plume de l’auteur trouve ici sa limite, les personnages perdant énormément en profondeur à mesure que la trame préfère se concentrer sur les flots d’insultes qu’ils se lancent régulièrement. Bedos oublie en plus le jonglage très précis entre humour et drame, en tombant profondément dans la grossièreté. Son écriture réserve encore de jolies joutes verbales, mais se résume aussi par instant à une approche outrancière très superficielle et à un discours très vieillot, notamment sur les nouvelles technologies. Pire encore, sans ce fameux équilibre, les protagonistes deviennent totalement antipathiques et leur caractère exécrable, voulu par Bedos, purement artificiel, à l’image du couple Doria Tillier/Guillaume Canet, sorte d’ersatz sans saveur des Adelman.


Reste alors un personnage, qui empêche le navire de couler : Victor Drumond, sexagénaire aigri et dégoûté par le monde qui l’entoure, décidant de se réfugier dans ce bar de 1974. A travers le regard mélancolique, nostalgique et touchant d’un Daniel Auteuil au sommet de son art, La Belle Époque arrive quand même à distiller quelques très belles séquences. Dès que l'intrigue maladroite passe au second plan, que les dialogues retrouvent leur force et que la caméra se met à virevolter majestueusement autour de ces reliques du passé, Bedos renoue enfin avec la vigueur de Monsieur & Madame Adelman.

PaulPnlt
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le 12 oct. 2019

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