Dernier film de Yuzo Kawashima édité par Badlands, La Bête élégante est décrit à juste titre comme une préfiguration de Parasites : on y suit le quotidien d'une famille d'escrocs qui ne vit que d'extorsions, de duperies et de détournements de fonds, symbole d'une charge très acide contre la société japonaise montrée comme un panier de crabes manipulateurs et corrompus où la survie sociale demande de mettre de côté tout principe éthique. Et pourtant, Kawashima de porte à aucun moment un regard moralisateur sur ses personnages, tenant une position quasi-documentaire qui se retrouve dans son dispositif de caméras souvent placés comme si elles étaient cachés dans l'appartement, lieu unique de déroulé du récit. Ce choix dynamise grandement la scénographie, par ailleurs toujours très soignée dans le découpage des plans par l'architecture intérieure et le positionnement réfléchi des acteurs.


Se croise donc dans ce logement HLM fascinant toute une mini-société s'exploitant à qui mieux mieux, où toute relation même affective devient transactionnelle, et où la pantomime arrache-pitié des parents est un régal qui ne retire pourtant rien à l'authenticité de leur effroi de retrouver leur état de pauvreté antérieur. Le spectateur est positionné comme un voyeur indiscret, à l'image de la famille dont les membres s'espionnent les uns les autres en toute connaissance de cause. Seule entorse au réel : l'emploi de séquences symboliques avec l'escalier de l'introspection et de la réussite (ou non). Du cinéma social dont l'élégance du titre définit très bien la réalisation de Kawashima.


En bonus du BR, on retrouve Clément Rauger et Christopher Gans qui continuent de deviser sur la carrière de Kawashima et son oubli cinéphilique qui sera corrigé quelques décennies après sa mort, mais surtout une analyse vraiment très intéressante du film par Bastian Meiresonne qui livre beaucoup de clés de compréhension de ses thèmes et de sa symbolique via une lecture historique, musicale, architecturale et formaliste (dont ce rappel technique impressionnant : La Bête élégante est composée de 236 plans, dont aucun ne se répète). Il éclaire sa dimension théâtrale par le refus initial des studios de produire un script aussi cynique, ce qui avait amené le scénariste Kaneto Shindo à le proposer à des troupes, et rappelle que le talent de Kawashima s'est nourri du collectif et de ses rencontres professionnelles (dont l'emploi des cadres dans le cadre). Une intervention qui confirme le sentiment d'avoir assisté à une master class.

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le 3 mai 2025

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