Un film qui commence banalement, voire même gentiment, pour se terminer dans la folie, dans l'atroce, le tout dans un milieu provincial franchement bourgeois.

A la fin, on se dit "c'est bien un Chabrol, ce film !". Car bien des films de Chabrol répondent à ces quelques critères … Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'on ne retrouverait pas ces mêmes critères chez d'autres cinéastes !

L'histoire que nous raconte Chabrol, plus ou moins inspirée de faits réels, semble-t-il, évoque l'engrenage qui va conduire deux jeunes femmes aux portes d'une folie meurtrière. Les causes profondes seront différentes chez chacune des femmes mais c'est leur "amitié" qui va être le détonateur enclenchant la mécanique fatale.

Il fallait des actrices d'exception pour jouer ce duo.

Isabelle Huppert dans le rôle d'une postière indiscrète, haineuse, provocatrice et manipulatrice. C'est une femme dominante et prédatrice.

Sandrine Bonnaire dans le rôle d'une "bonne à tout faire" d'une maison bourgeoise. Elle est dévouée, taciturne, solitaire et surtout cache soigneusement un analphabétisme qui la ronge et qui lui pourrit la vie. Elle est hypnotisée par la télé, quelle que soit l'émission même insipide, qui constitue un véritable refuge. C'est une victime.

La postière joue le rôle d'un révélateur pour la bonne ; sous l'influence de la postière, la bonne va découvrir qu'au-delà de sa honte, c'est la relation avec son employeur qui est humiliante. Au demeurant, cette famille bourgeoise n'est pas plus méchante ou méprisante qu'une autre, au contraire, elle me semble plutôt complaisante même si on note un peu de condescendance, parfois. Le fossé entre les deux classes devient alors infranchissable et la communication impossible. Même lorsque la fille de la maison (Virginie Ledoyen) tentera de jeter une passerelle entre elles deux dans la fameuse scène où elle prépare elle-même le thé et découvre inopinément l'analphabétisme de la bonne. La tentative se soldera par une rupture violente et l'expression d'une haine irrépressible.

J'irais même jusqu'à dire que s'il n'y avait pas eu la rencontre de la postière et de la bonne, la violence interne de chacune des deux femmes n'aurait probablement pas pu s'exercer. Et pourtant, Chabrol nous donne les clés de cette violence interne puisque chacune des deux femmes a été mêlée à la mort accidentelle d'un proche pour laquelle chacune a pu être mise hors de cause par "absence de preuves". Mais cette violence se cristallisera aisément dès lors que ces évènements anciens constituent un point commun, gage d'une certaine immunité et donc d'une certaine puissance.

Les jeux des deux comédiennes (Huppert et Bonnaire) sont remarquables et précis. La mise en scène de Chabrol excelle dans le contrôle de la solidité du lien entre les deux femmes suivant le lieu où elles sont ensemble : à l'intérieur ou à l'extérieur de la propriété, dans la chambre de l'une ou de l'autre. Il en est de même de la mise en scène de la souffrance – très émouvante - de Sandrine Bonnaire en relation avec son analphabétisme.

Mais le reste du casting n'est pas à dédaigner non plus avec Jean-Pierre Cassel en chef de cette famille recomposée, sa femme Jacqueline Bisset avec son léger petit accent charmant et surtout Virginie Ledoyen dans le rôle de la fille de Jean-Pierre Cassel. Cette dernière est une jeune bourgeoise mais reste franche du collier.

La mise en scène de la famille devant la retransmission de Don Giovanni et l'apparition en contre-plongée puis en plongée de Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert sur la mezzanine, en position de puissance donc, est savoureuse (même si atroce). Comme la déclaration d'amour de Leporello à Elvira avec sa mandoline au moment suprême du film de Chabrol…

Au final, film très troublant et même dérangeant s'il n'y avait pas la chute finale vertigineuse rééquilibrant en quelques secondes une situation qui s'enfonçait définitivement vers le néant.

JeanG55
8
Écrit par

Créée

le 18 janv. 2023

Critique lue 181 fois

14 j'aime

9 commentaires

JeanG55

Écrit par

Critique lue 181 fois

14
9

D'autres avis sur La Cérémonie

La Cérémonie
Thaddeus
9

Grand nettoyage

Fin connaisseur du roman policier, Claude Chabrol a toujours eu un faible pour les écrivains anglo-saxons. On repère dans sa gourmande filmographie, entre un Frédéric Dard et deux Simenon, quelques...

le 9 août 2015

42 j'aime

2

La Cérémonie
ErrolGardner
9

Service funèbre.

Y'en a une de postière subversive et elle est divine... (De toute façon, quel que soit son rôle, elle est toujours divine - Huppert bien sûr). Elle n’a pas sa langue dans sa poche et elle s’en fout...

le 16 mai 2013

24 j'aime

7

La Cérémonie
EvyNadler
8

Le temps des secrets

J'ai découvert Chabrol avec La fille coupée en deux. C'est loin d'être son meilleur, m'a-t-on dit, mais j'ai de suite eu une tendresse particulière pour ce type (et pour Ludivine Sagnier) que je...

le 3 juin 2016

22 j'aime

2

Du même critique

La Mort aux trousses
JeanG55
9

La mort aux trousses

"La Mort aux trousses", c'est le film mythique, aux nombreuses scènes cultissimes. C'est le film qu'on voit à 14 ou 15 ans au cinéma ou à la télé et dont on sort très impressionné : vingt ou quarante...

le 3 nov. 2021

22 j'aime

19

L'Aventure de Mme Muir
JeanG55
10

The Ghost and Mrs Muir

Au départ de cette aventure, il y a un roman écrit par la romancière R.A. Dick en 1945 "le Fantôme et Mrs Muir". Peu après, Mankiewicz s'empare du sujet pour en faire un film. Le film reste très...

le 23 avr. 2022

21 j'aime

8

125, rue Montmartre
JeanG55
8

Quel cirque !

1959 c'est l'année de "125 rue Montmartre" de Grangier mais aussi des "400 coups" du sieur Truffaut qui dégoisait tant et plus sur le cinéma à la Grangier dans les "Cahiers". En attendant, quelques...

le 13 nov. 2021

21 j'aime

5