Le Cinéma n'est pas qu'un recueil de souvenirs enfouis que l'on ressort au cours d'une conversation en société. Il s'assimile à un fantasme de cinéphile dans l'optique de lui donner corps. La Collectionneuse a toujours eu, pour l'auteur de ces lignes, un doux parfum estival et des senteurs de roman suranné retrouvé dans le tiroir d'un vieux bureau en merisier. On pourrait facilement attribuer cette autre analogie à l'affiche du film aux contours d'un blanc immaculé en adéquation parfaite avec les éditions Gallimard et leur reliure marbrée. Il s'en dégage de la légèreté et une sophistication au coeur d'une forme rectangulaire classieuse. Un livre ni trop dense ni trop épais aux chapitres aériens où l'on se projette à la première personne et où l'on rêve de l'ultime rencontre.


Instinctivement, n'avons-nous pas lié l'encre et la pellicule au travers du travail de Rohmer ? Comme à l'accoutumée, Patrick Bauchau et Haydée Politoff vont déclamer leur texte dans la grande tradition du "livre parlé". Plus légers que l'air, les mots flottent au rythme de la voix off du personnage principal. Le spectateur tourne les pages invisibles de l'oeuvre en épousant la ponctuation du texte soigneusement respectée. Le décor d'un été amoureux est posé. Haydée en sera l'épicentre.


D'ailleurs, c'est bien elle qui ouvre le bal des futures parades amoureuses. Libre dans un maillot de bain deux pièces, la moue boudeuse, elle trempe ses pieds dans la mer. Quelques carrés de peau sont filmés avec la plus grande des pudeurs. Les genoux, les hanches, la gorge... La femme Rohmerienne plante ses pieds dans le sable. À l'instar de Maud et Pauline, elle va tracer son chemin en pratiquant la politique de l'écoute mais sans se soucier des arguments.


La Collectionneuse est avant tout l'histoire de deux hommes en vacances dans une somptueuse villa au bord de la mer. Adrien (Patrick Bauchau), l'oeil du spectateur, expérimente la philosophie de l'oisiveté jusque dans ses tréfonds.



  • "Impossible" lui répond Daniel, " Tu ne fais pas rien, tu lis !"


Ce ne sont pas les oeuvres complètes de Jean Jacques Rousseau qui tireront Adrien de sa léthargie mais la présence de Haydée. Dans un premier temps agacé par les gémissements d'un coït dans la chambre d'à côté, Adrien tel un dandy des temps modernes, écarte l'amant de la jeune femme qui se voit rapidement congédié par Daniel. La place est libre, le jeu des chassés croisés amoureux peut démarrer.


Pendant son séjour, Haydée n'a d'autres envies que de profiter de sa jeunesse. Ses longues sorties nocturnes n'ont aucune répercutions sur sa vie au quotidien. Chaque homme qui la raccompagne au petit matin n'est jamais le même attestant de sa supposée sexualité active. Adrien s'offusque de cette femme qui dispose de sa vie comme elle l'entend.



  • "Ne préfères-tu pas les plaisirs simples et la vertu ?"


Une question condescendante destinée à la mettre en porte à faux alors qu'elle ne demandait qu'à être conduite à une soirée. Elle s'assied et prend une bande dessinée de Tarzan, l'exact opposé "des lectures profondes" de son futur prétendant. Parce que l'on dit que les contraires ont tendance à s'attirer, Adrien et Haydée flirtent dans un paradis sur terre au milieu de la végétation et des cigales. Le premier jouant l'indifférence, la seconde acceptant ce qu'on lui propose. Chacun avance ses pions à la manière d'un jeu d'échecs.


Le quatrième conte moral d'Eric Rohmer se déroule dans la France de 1967. Une France qui ne va pas tarder à voler socialement en éclats. Un conte qui ose se faire affronter deux classes radicalement opposées. Celle d'Adrien, médecin ophtalmologiste rassuré par sa condition d'homme lettré et Haydée, jeune femme libre de tout engagement expurgée du filtre hierarchico-social. Derrière la jeune femme, c'est toute l'idéologie libertarienne qui se dessine et qui amènera toute la jeune génération soixantehuitarde à briser les carcans en place. Eric Rohmer n'a pas attendu le flower power pour exprimer ses préférences féministes. Seulement la période propice au futur mouvement générationnel permet de brosser la figure idéale de la femme d'aujourd'hui.

Star-Lord09
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le 1 juil. 2022

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