Mad Max V - Le prisonnier au fond du trou

"La Femme des sables" m'évoque d'abord la série des 60's "le Prisonnier" de Patrick McGoohan, que je suis en train de découvrir avec intérêt, et qui illustre un paradoxe fascinant du récit, et que l'on retrouve dans ce film.


Il est d'usage de considérer que plus les conflits sont difficiles à résoudre pour les protagonistes, plus le récit devient palpitant, mais gare à ne pas tomber dans l'excès d'un conflit d'une difficulté telle qu'il en deviendrait manifestement insolvable, ce qui entraînerait de fait un désintérêt du spectateur. En effet, dans le cas d'un conflit impossible (ex : l'évasion est impossible), comment s'intéresser à ce qui va constituer le coeur du récit, à partir du moment où l'on sait qu'aucune réponse satisfaisante ne sera/ne pourra être apportée au problème posé. A quoi bon nous montrer les péripéties illustrant les tentatives d'évasion, en sachant pertinemment que le personnage ne réussira jamais à s'évader ?


Et bien dans le cas du "Prisonnier", ou dans "La femme du sable", malgré la chronique d'un échec annoncé (parce qu'à partir du moment où le héros de la "Femme des sables" descend dans la cabane au fin fond d'un trou de sable gigantesque, on sait, on sent très vite qu'il n'en ressortira pas), l'intérêt se maintient mystérieusement, et l'échec finit par poétiser une quête absurde et désespérée, en symbolisant avec une évidence implacable la désespérante condition humaine. Il y a quelque chose de définitivement beau chez ce personnage de plus en plus enfoui dans le sable et qui se débat sans fin pour s'en extirper.



Mais halte aux symboles !



Mais ce qui fait la force du film, ce n'est pas tant sa symbolique, qui pourrait devenir ultra pesante et lourdingue comme dans n'importe quel Tarkovski (+10 dislikes sur la critique), et affecter le récit.
Le film est très bon, parce qu'il reste profondément concret, très terre-à-terre, et qu'il n'abandonne jamais le terrain de la fiction.


Le film a beau partir d'un postulat symbolique, quasi mythologique, il ne va pas rester bloqué au seuil des idées, il va aller dans le dur, étudier au plus près la vie et la survie des deux êtres coincés dans la nasse.


Comme dans le superbe film de Jacques Becker "Le Trou", il va illustrer méthodiquement la lutte contre les éléments : (Le béton à creuser dans "Le Trou" pour s'évader, le sable à déblayer indéfiniment pour "La Femme des sables"), l'organisation concrète qu'elle implique (à quelle heure commencer à déblayer, comment alerter les paysans pour qu'ils envoient une corde et des seaux, etc...).


Mais le film va aussi s'attarder sur les deux personnages, sur leurs rapports ambigus, foncièrement inquiétants (en particulier au début du film, quand on ne sait pas exactement à quelle sauce va être mangé le héros), sur l'évolution très progressive de ces rapports en quasi vie de couple, ils sont filmés de plus en plus près, jusqu'à ce qu'on ne perçoive plus que leur chair, avec ce sable omniprésent qui s'infiltre jusque dans les pores de leur peau.


Bref on est sur un équilibre constant entre du concret, un récit et montage globalement classiques, une articulation continue entre les plans, un style très classieux, et...
Un symbolisme savamment dosé, où l'on retrouve de la discontinuité qui fait dérailler subtilement le récit, un système d'échos, une musique expérimentale assez rare à base de bruits se distinguant par son étrangeté, et ces magnifiques images de coulées de sable qui reviennent régulièrement et qui participent à créer une atmosphère étouffante.



Et Mad Max arrive



Et puis à un moment donné, il y a l'évidence, on entre pleinement dans le survival, genre que j'adore, parce que c'est le moyen le plus divertissant pour parler de la condition humaine, sans plomber le monde avec des discours philosophico-métaphysico-relous.


On est dans le film post-apocalyptique, l'air de rien, sans se rendre compte...
Les étendues de sables, les paysans dégénérés qui exploitent les gens coincés dans les trous, les esclaves, la tentative d'évasion quasi-réussie, les sables mouvants, les chiens guetteurs, les lampes qui s'allument dans les ténèbres, les dunes par milliards.


Et le théâtre de l'horreur. Cette scène lunaire et incroyablement anxiogène, avec ces tambours lancinants, lorsque ces paysans masqués façon Kabuki dégénéré, se rassemblent autour du trou pour contempler le sinistre spectacle quasi Pasolinien des héros en contrebas, forcés à copuler pour satisfaire leur plaisir pervers de voyeurs. Hallucinant.


Et on comprend que le danger n'est plus seulement à l'intérieur du trou, mais encore plus en dehors, dans un monde cerné par la sauvagerie, l'inhumanité, et la mort à tous les bancs de sable. En fait, le siège du fort dans Mad Max 2, par les punks indiens, c'était de la rigolade à côté de ça.


Bref, voilà le genre de film idéal pour se traumatiser à vie du sable, des veuves esseulées, des plages bretonnes (même si de base la Bretagne c'est un peu pourri quand même), des paysans, et de nos vies d'insectes.
Sur ce, je pars me trancher les veines.


Je déconne, j'ai pas ressenti le film comme un truc dépressif, même s'il y a une virée assez expressionniste, très angoissante, avec une fin qui m'a bien fait rager (même si elle était prévisible). Le seul reproche que j'aurais à lui faire, c'est qu'il est quand même un poil trop long (2h30, mais sans souffrance), d'où le 7.


Mais c'est un truc marquant typique des films qui poursuivent après coup, avec une idée de décor absolument géniale, dès le départ j'étais à fond dedans. A voir, donc.

KingRabbit
7
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le 31 mai 2016

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