Dès ses premières images, le film installe un monde où l’abondance se lit comme une solitude. Marianne Farrère (Isabelle Huppert) règne sur un empire cosmétique dont la magnificence dissimule une vacuité. Le décor, somptueux mais froid, devient le reflet d’un pouvoir vide. La caméra reste distante, presque complice de ce théâtre des fortunes. L’argent circule comme air raréfié, chaque billet échangeant l’éphémère pour un instant de calme.
Ce film est une œuvre de création très librement inspirée de faits réels. avertit le générique-intro.
Le cœur du récit repose sur une relation toxique-élégante entre Marianne et Pierre-Alain Fantin (Laurent Lafitte), jeune photographe-parasite qui s’invite dans l’intimité d’une vieillissante héritière. Dans ce jeu, l’image succède au fond : il n’est plus tant question de ce qu’on possède que de ce que l’on croit pouvoir donner. Lafitte incarne cette insolence, cette incursion dans la vie d’autrui avec l’arrogance d’un homme qui croit que tout s’achète. Les rapports de force se répètent, se retournent, jusqu’à ce qu’on ne sache plus qui abuse et qui est abusé.
La maison de Marianne, vaste et muséifiée, devient cellule dorée. Le spectateur entend les pas dans les pièces immenses, voit les tableaux alignés, les objets témoins d’un passé figé. Ici, le luxe isole. Le film transforme la riche héritière en spectatrice de sa propre vie, enfermée dans une splendeur qu’elle ne choisit plus vraiment. Le tournage en huis-clos bourgeois renforce cette impression que la fortune est le sceau d’un enfermement.
Klifa adopte un ton satirique, soulignant l’absurdité d’un monde où « 2 millions d’euros, c’est quoi pour nous ? » interroge Marianne.
Cette ironie permet quelques fulgurances – des répliques, des regards –, mais elle finit par se heurter à la lenteur du rythme. Le passage de la comédie acide au drame familial se fait avec inégalité. La satire perd de sa mordacité quand l’intrigue judiciaire s’installe, comme si le film hésitait entre l’allégorie de l’argent et le huis-clos tragique.
Le défaut majeur tient à cette ambition double qui fragmentairement affaiblit l’ensemble : malgré une direction artistique soignée et des acteurs de premier plan, le film peine à donner à chaque registre son plein effacement. Le récit semble glisser vers un basculement – celui de la vengeance, des révélations, de la chute – mais ne l’atteint jamais pleinement. Le spectateur reste dans l’attente, entre satire impure et tragédie inachevée. La transformation de l’intrigue en simple « changement d’état » plutôt qu’en résolution laisse un goût de potentiel non consommé.
La Femme la plus riche du monde est un film qui touche, mais n’achève pas. Elle impose une image puissante – Marianne, l’héritière immense, entourée d’art et d’argent, pourtant vide d’écho – et un désir de démonstration. Huppert y est magistrale, Lafitte provocateur, les décors splendides, la direction d’acteurs rigoureuse. Mais l’architecture narrative vacille. Le film reste à mi-chemin : riche en apparence, mais pauvre en délivrance. Un miroir du luxe qui ne reflète plus que lui-même.