Horacia (Charo Santos-Concio) sort de prison. Elle y a passé 30 ans… pour rien. Elle recouvre enfin sa liberté parce que sa seule amie durant ces 3 décennies vient d’avouer être coupable du meurtre pour lequel elle était emprisonnée. De plus, l’amie en question s’est pendue le matin de la sortie de prison d’Horacia. Que peut faire Horacia, sinon chercher sa famille dont elle reste sans nouvelles et chercher celui qui a commandité le crime qui lui a valu ces 30 ans d’enfermement ? On remarque cependant que, si l’enfermement a été une sorte de torture, Horacia discute avec la directrice de la prison comme si elles étaient amies.


Si Horacia retrouve sa fille assez rapidement, cela ne lui suffit vraiment pas. Alors, elle passe beaucoup de temps dans un quartier pauvre, souvent de nuit. Nous sommes aux Philippines en 1997, période marquante pour le réalisateur : mort de lady Diana, de mère Teresa et de Gianni Versace, mais aussi la fin du contrôle britannique sur Hong-Kong. Aux Philippines, l’enlèvement d’hommes d’affaires (souvent étrangers) était une réalité qui marquait les esprits (ici, les médias évoquent régulièrement le sujet).


Concernant Horacia, on ne peut pas s’empêcher de remarquer que cette femme se comporte plus ou moins comme si elle était touchée par la grâce (actes de bonté, de compassion envers les plus démunis qu’elle croise, alors qu’elle n’oublie jamais son désir de vengeance). Une contradiction seulement apparente, car elle rapproche Horacia d’un personnage de fiction bien connu : Edmond Dantès, Le comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas.


Dans les scènes de nuit, Horacia s’attarde auprès d’un bossu qui annonce « Balut ! » sur un ton inimitable, en accentuant la deuxième syllabe et en trainant sur le u qu’il prononce ou. Cela donne quelque chose d’obsédant, comme une plainte. Le bossu est un vendeur des rues et ce mot qu’il prononce de façon lancinante sonne comme ce que certains ressortent de façon compulsive lorsqu’ils se sentent non observés (pour éviter de passer pour dérangés), simplement parce que le mot leur revient en tête pour une raison obscure. Pourtant, qui peut annoncer balut de façon crédible, sinon un vrai vendeur de balut ? Les curieux voudront savoir ce qu’est le balut… un mets très particulier qui donne encore une autre dimension aux scènes évoquées ici. Comme par hasard, le bossu vend quelque chose de comestible, alors que ses enfants sont affamés.


Au cours de ses errances, Horacia rencontre deux autres personnes. Une femme qui travaille dans un restaurant assez minable et un jeune travesti qu’elle secourt après qu’il se soit fait tabasser. A l’occasion, Lav Diaz (le réalisateur) étire la séquence à son maximum, installant un malaise certain dans l’esprit du spectateur, tout en faisant sentir combien cette relation lui tient à cœur. D’ailleurs, le personnage du travesti joue un rôle majeur dans le destin d’Horacia, celle-ci le recueillant dans son logement, le soignant et l’écoutant longuement. Une relation de confiance s’établit. Cette confiance sera à l’origine d’un événement aux conséquences incalculables pour Horacia (il est des événements sur lesquels on ne peut pas revenir).


Le film est dans un magnifique noir et blanc dont la qualité ne se dément jamais tout au long des 3h45 de projection. Cette durée est le premier élément qui saute aux yeux à propos du film. Puis, qui connait Lav Diaz ? Renseignement pris, ce n’est pas un débutant et ses films sont réputés pour leur longueur. Avec La femme qui est partie on peut considérer qu’il a fait un effort (eh oui…) pour que son film puisse intégrer les circuits commerciaux. Petite appréhension en début de séance, vite balayée car si le film n’aligne longtemps que des plans fixes (durée variable) où le réalisateur prend son temps pour montrer ce qui l’intéresse, je n’ai jamais ressenti la lassitude que je craignais. Lav Diaz a construit son scénario de façon à révéler progressivement tous les éléments qui enrichissent son intrigue, avant de donner de la mobilité à sa caméra pour souligner à bon escient un événement capital. D’autre part, il réussit à créer une certaine fascination pour ses personnages qui évoluent dans une ambiance qu’on peut qualifier de très personnelle faute de mieux connaitre l’univers du réalisateur. Un film vu à titre de curiosité, le prochain long métrage signé Lav Diaz étant annoncé : Berceuse pour un sombre mystère (8h02) Sortie reportée, on se demande pourquoi...


L’objectif avoué de Lav Diaz est de « … restaurer notre humanité, afin que celle-ci puisse retrouver son âme. Je crois fondamentalement que le cinéma peut aider l’humanité à retrouver sa vraie nature. » dit-il. C’est beau et le personnage d’Horacia est à la hauteur de son ambition. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il a visé un peu haut ou plus simplement qu’il a une vision un peu idéaliste de ce qu’il peut réaliser. En effet, en présentant des films d’une durée tellement inhabituelle, il décourage à l’avance quantité de personnes. En limitant son public, il limite également la portée du message qu’il souhaite faire passer. Orgueil démesuré ou simple inadéquation entre la volonté d’un artiste et la réalité du business cinématographique ? Difficile à dire, La femme qui est partie est le premier film de Lav Diaz que je vois. Une expérience particulière, finalement assez marquante.

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le 13 déc. 2017

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