On critique souvent, et généralement avec raison, cette "qualité française" qui donnait des films impressionnants formellement, mais froids et impersonnels. Or voici un film qui va totalement à l'encontre de tout ça, un film qui assume ses imperfections et même les érige parfois en procédé, un film qui tente des choses, pas avare en idées.

Que le portrait de ce pamphlétaire soit celui d'un personnage réel ou fictionnel importe peu, tant on est loin ici de ce qu'on appellera, plus tard, le biopic. Son assassinat est l'occasion d'une structure à la Rashomon, où les juges entendront plusieurs versions sur le caractère du mort, cherchant à démêler la vérité du mensonge. Ce qui, encore une fois, importe peu. Si la forme emprunte au who dunnit, pour le spectateur ce n'est pas tant l'intrigue qui compte, ni même le portrait des suspects, mais bien celui du mort. D'ailleurs, la résolution laisse plutôt froid, et on sent bien que le propos est ailleurs.

C'est donc un film qui déjoue complètement les attentes, mais dès le début, matérialisant la rumeur par une chaîne d'hommes se parlant à l'oreille, ou faisant parler Paul-Louis Courier directement au spectateur, on sait que la forme sera originale. Il n'y a plus, dès lors, qu'à se laisser porter.

La ferme des sept péchés, c'est aussi un état de cette France qui ne sait trop sur quel pied danser. On y était républicain il y a peu, et encore plus près Bonapartiste, et voilà qu'il faut être royaliste, sous peine de passer pour traître. Les arrestations arbitraires se multiplient, le pouvoir cherchant sa légitimité par la répression. Des rancœurs couvent, parfois exprimées, parfois non. Dans ce contexte, Paul-Louis Courier, pamphlétaire qui n'a pas froid aux yeux, détonne. Il est courageux, n'hésitant pas à dénoncer bruyamment les injustices quand il en est témoin. Il est téméraire même, n'hésitant pas à braver les pouvoirs en place en organisant des manifestations pour la liberté. Il est lucide, et sa conscience politique le pousse à son activité qu'il sait dangereuse. Malgré tout, il est fort peu sympathique, détestable même. Certes, son aversion de l'injustice et de la cruauté le poussent aussi bien à tambouriner chez le maire pour faire cesser une arrestation arbitraire, qu'à donner gîte et travail à un simple d'esprit harcelé par tous. Mais chez lui, c'est un petit tyran poussant l'avarice à des sommets qu'Harpagon n'aurait pas désavoués. Irascible, il se rend ridicule par l'amour qu'il porte à sa trop jeune femme, qui cherche ailleurs d'autres voluptés. Sa pingrerie et sa jalousie le portent à des extrémités condamnables.

C'est d'ailleurs le problème pour les juges, qui ne manquent pas de suspects : tout le monde pourrait l'avoir tué, que ce soit à cause de sa tyrannie ou pour des raisons politiques. Mais le procès est plus celui de l'époque que de ceux qui sont passés à l'acte : et en cela, la forme disparate permet de varier les points de vue, donnant à voir un échantillon significatif, tout en se renouvelant en permanence. D'ailleurs, le titre prévu était Assassinat par souscription. Peut-être moins commercial, il avait l'avantage d'être bien plus juste et donc, beaucoup plus parlant.

BigDino
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le 23 mars 2025

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