Dans la grande illusion, le microcosme du camp de prisonniers devient presque une utopie, tant on y apprend à vivre ensemble, à transcender les différences qui créent dans le réel des barrières infranchissables. Ainsi l'aristocrate doit se mêler au peuple, et le peuple apprend que le juif aussi sait être bon camarade et généreux. En ce sens, la scène où Gabin pète un plomb car il a été condamné à l'isolement vaut programme.
Du camp on cherche à s'évader, quand même. C'est la règle du jeu, pourrait-on dire, ainsi que l'exprime Fresnay : un camp de prisonniers, ça sert à s'évader. Mais là encore, c'est une entreprise qui ne peut réussir que dans le collectif, et l'aristocrate devra se salir les mains comme s'il était un prolétaire.
Les langues étrangères ne sont pas un frein à la communication. Entre anglais qui entonnent la marseillaise à la nouvelle d'un victoire française, ou russes souhaitant partager un arrivage de victuailles avant de se rendre compte de leur méprise, la solidarité s'établit tout aussi bien. Jusqu'aux français et aux allemands, ennemis irréductibles pourtant à l'époque, ce qui sera développé dans une dernière partie lumineuse.
La grande illusion est donc un film foncièrement optimiste quant à l'amitié possible entre les hommes, bien qu'il soit bien sûr hanté par la possibilité qu'une autre guerre toute aussi dévastatrice éclate bientôt. Après tout, nous sommes en 1937. Déjà deux ans plus tôt Jean Giraudoux créait La guerre de Troie n'aura pas lieu, où il démontrait à travers le prisme du récit d'histoire que tous les atermoiements pour éviter la guerre ne servaient à rien.